Antoni Tapies, peintre engagé
Antoni Tapiès peintre et sculpteur espagnol
Qui était Antoni Tapiès ?
Antoni Tapiès a révolutionné la peinture. Pas tout seul, pas en une seule toile. Mais ce peintre et sculpteur espagnol, mort lundi à 88 ans, a contribué à changer la conception de l’Art. Alors que la conception classique de celui-ci avait toujours estimé, depuis l’esthétique grecque jusqu’à Hegel, que l’Art devait échapper à la matière et au temps, «Antoni Tapiès a forgé son œuvre dans l’un et l’autre», remarque Youssef Ishaghpour, essayiste et auteur de Antoni Tàpies: Oeuvres, écrits, entretiens.
«Ce qui le caractérise, c’est d’avoir renoncé aux matériaux traditionnels de la peinture», explique Daniel Abadie, historien de l’art et ancien directeur de la Galerie nationale du Jeu de Paume à Paris, qui avait consacré une exposition à Tapiès. «Il a inventé une matière qui n’appartient qu’à lui: une poudre de marbre agglomérée avec de la colle et 36 autres choses. Tapiès a introduit dans la peinture des éléments multiples qui allaient de la paille aux vieux draps. Tout était mélangé et il est l’un des grands introducteurs de la matière dans la peinture.»
«L’artiste doit tout inventer, il doit se lancer à corps perdu dans l’inconnu, rejetant tout préjugé, y compris l’étude des techniques et l’emploi des matériaux considérés comme traditionnels», écrivait d’ailleurs l’artiste dans La pratique de l’art.
Le retour du réel dans la peinture
Cette pratique a ouvert le chemin à tous ceux qui on travaillé avec l’objet, tant peintres que sculpteurs ou autres. «C’est aussi ce qui a amené le pop art par exemple», précise Daniel Abadie. «Il a été le précurseur d’un retour du réel dans la peinture.»
L’univers du corps, du quotidien, c’est ce qu’Antoni Tapiès mettait sur ses toiles, une prise en charge complète de l’existence. «Tout ce qui avait été rejeté par le grand art, Tapiès l’intégrait. Y compris le temps», souligne Youssef Ishaghpour. En mettant le quotidien dans ses œuvres, il y mettait la finitude, l’éphémère. «Même la matière est en transformation chez Tapiès.»
Une œuvre métaphysique et politique
A voir les œuvres d’Antoni Tapiès, on serait parfois tenté, spontanément, d’y voir une abstraction absolue. Mais l’appellation de peintre abstrait l’irritait. «C’est un peintre métaphysique au sens littéral, rappelle Daniel Abadie. Il passait au-delà du physique et autour. Par ce travail sur la matière, il donnait une pensée et une émotion à du matériau a priori inerte, et qui n’aurait pas existé sans l’intervention de l’artiste.» Tapiès était un intellectuel de premier ordre, un grand lecteur, passionné de pensée orientale. Mais c’était aussi un peintre engagé, dans une réalité bien plus terrestre que celle de la matière et de l’art.
«Tapiès a vécu sous le franquisme, rappelle Youssef Ishaghpour. Son œuvre est marquée par une dimension d’oppression, de présence de la mort, avec une dimension tragique qu’on ne trouve pas chez d’autres matiéristes.» Comme ces toiles où l’on voit quatre grandes barres rouges qui sont en fait les doigts de prisonniers grattant des murs. «Il y avait une charge politique profonde dans sa peinture. Mais sans cette facilité qui consiste à faire de la peinture purement politique. C’était d’abord un travail d’artiste», avance Daniel Abadie.
Source : 20minutes
Antoni Tapies, Parla Parla, exposition à Toulouse, 2016
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