Basquiat Warhol : on refait le match
A la rencontre d’Andy Warhol et Jean-Michel Basquiat, à la fondation Louis Vuitton
L’exposition s’intitule "Basquiat x Warhol, à quatre mains" et fermera ses portes le 28 août prochain à Paris.
Alors avant même que cette exposition ne soit révélée au public, j’entendais déjà les cris de bonheur et d’extase quant à cette exposition.
Mais au-delà de deux géants de l’histoire de l’art, allons-nous pencher sur cette exposition et voir si la rumeur est à la hauteur de nos espérances.
La rencontre entre Jean-Michel Basquiat et Andy Warhol est une rencontre marquante dans le monde de l'art contemporain.
Ces deux figures emblématiques se sont croisées dans les années 1980 à New York, dans le milieu artistique bouillonnant de l'époque.
C’est exactement le 4 octobre 1982 que le galeriste Bruno Bischofberger présente officiellement Basquiat à Warhol.
Ce tableau « Dos Cabezas » marque cette rencontre.
Basquiat demande au galeriste de les photographies côte à côte et dans les deux heures qui suivent son assistant Stephen Torton porte à la Factory cette peinture.
Warhol dira « je suis jaloux, il est plus rapide que moi »
Basquiat y apparait à l’égal de Warhol : le mythe est né.
Il faut bien comprendre que les années 1980 étaient une période de grande effervescence artistique à New York.
La ville était le centre névralgique de l'art contemporain et attirait de nombreux artistes du monde entier.
C'était une époque où de nouvelles formes d'expression artistique émergeaient, repoussant les frontières de l'art traditionnel. Le mélange des genres artistiques était monnaie courante, favorisant l'expérimentation et l'innovation.
Jean-Michel Basquiat a commencé sa carrière artistique en tant que graffeur dans les rues de New York.
Sous le pseudonyme "SAMO", il réalisait des graffitis chargés de messages sociaux et politiques. Ses tags, accompagnés de poésie cryptique, ont attiré l'attention et suscité l'intérêt de la scène artistique underground.
Andy Warhol lui était déjà une icône de l'art pop dans les années 1980.
Il avait acquis une renommée internationale grâce à son exploration de la culture de masse et de la célébrité à travers ses sérigraphies très célèbre de Marilyn Monroe, Campbell's Soup Cans et d'autres icônes emblématiques.
Warhol était une figure influente et controversée de l'art contemporain, connu pour sa personnalité excentrique et son approche artistique novatrice.
Andy Warhol possédait un atelier "The Factory".
C'était un lieu emblématique où se rassemblaient des artistes, des musiciens, des écrivains et des célébrités.
C'était un véritable carrefour de l'art et de la culture à New York.
La convergence de l'effervescence artistique à New York dans les années 1980, les débuts de Basquiat en tant que graffeur talentueux et la notoriété d'Andy Warhol en tant qu'icône de l'art pop, tout cela a créé un terreau fertile pour leur rencontre.
Ces circonstances ont préparé le terrain pour une collaboration artistique unique et une influence durable sur l'histoire de l'art.
Ces jalons posés, revenons à notre exposition, qui va nous permettre d’explorer le résultat de leur rencontre, leur collaboration artistique et l'impact qu'ils ont eu ensemble sur le paysage artistique.
Lors de leur première rencontre, Jean-Michel Basquiat et Andy Warhol ont ressenti une véritable connexion artistique. Ils étaient tous deux captivés par le travail de l'autre et ont immédiatement reconnu leur talent respectif.
On peut parler d'un véritable coup de foudre artistique qui a été un élément clé et qui a jeté les bases de leur collaboration future.
Basquiat, jeune artiste talentueux et prometteur, était fasciné par la notoriété d'Andy Warhol et par son statut d'icône de l'art pop.
De son côté, Warhol était intrigué par le style expressif et l'énergie brute qui se dégageaient du travail de Basquiat.
Cette fascination mutuelle a créé une dynamique inspirante et a renforcé leur désir de travailler ensemble.
L'influence a donc été réciproque : Warhol et l'esthétique pop-art dans le travail de Basquiat et la collaboration avec Andy Warhol a eu une influence significative sur le travail de Basquiat.
Basquiat, qui avait déjà été exposé à l'art pop, a trouvé en Warhol un mentor qui l'a encouragé à explorer davantage cette esthétique. Il a donc incorporé des éléments du pop-art dans ses propres créations, en utilisant des couleurs vives, des motifs répétitifs et des références à la culture populaire.
D'un autre côté, Basquiat a également eu un impact sur Warhol.
Il a introduit une certaine dose d'expressionnisme dans le travail de Warhol, en l'encourageant à expérimenter davantage des techniques de peinture plus gestuelles et énergiques.
Cette fusion entre l'esthétique pop d'Andy Warhol et l'expressionnisme de Basquiat a donné lieu à des œuvres uniques et innovantes qui nous sont proposées ici.
Basquiat et Warhol ont réalisé plusieurs peintures en duo, où ils travaillaient simultanément sur la même toile.
Les toiles sont souvent commencées par Warhol qui reprend d'ailleurs les pinceaux qu’il avait délaissé depuis les années 60 au profit de la sérigraphie.
Il prépare le fond, aidé par un système de projection, qui accueilleront les peintures de Basquiat.
Cette forme de collaboration directe a permis à leurs styles distincts de se mélanger et de s'influencer mutuellement.
Le résultat est souvent une combinaison intrigante de l'expressionnisme de Basquiat et de l'esthétique pop de Warhol.
On remarquera que les formats sont grands : Warhol s’était toujours confronté à des formats de publicités et Basquiat a commencé à graffer dans la rue.
Les plus longues de leurs œuvres communes comme "Chair "ou "African masks" évoquent des éléments de décors architecturaux.
Outre les peintures en duo, Basquiat et Warhol ont également collaboré sur d'autres projets artistiques et ont réalisé des séries de portraits mutuels, explorant leur relation artistique et leur amitié. De plus, ils ont participé à des expositions conjointes, où leurs œuvres étaient présentées côte à côte, créant ainsi des dialogues visuels et conceptuels intéressants.
Cette collaboration directe entre Basquiat et Warhol a permis un échange d'idées, de techniques et d'influences artistiques. Leur travail commun a transcendé les frontières de leurs styles individuels et a créé une synergie artistique unique. Cette collaboration a été somme toute une expérience enrichissante pour les deux artistes et a donné naissance à des œuvres majeures.
En 1983, le galerie Bruno Bischofberger, dont je vous ai parlé précédemment, propose à Basquiat, Francesco Clemente et Warhol de signer conjointement certains tableaux.
Une quinzaine de tableaux naîtront de cette collaboration.
On peut constater que le style de chacun est parfaitement reconnaissable : l’onirisme de Clémente, les écritures et silhouettes de Basquiat et la sérigraphie de Warhol.
Ce doux mélange réactive le principe des cadavres exquis tant aimés par les surréalistes.
Quel impact pourrions-nous déterminer pour cette collaboration ?
La collaboration entre Basquiat et Warhol a donné lieu à une fusion unique d'esthétiques distinctes.
L'expressionnisme énergique et spontané de Basquiat s'est mêlé à l'esthétique pop-art plus détachée et répétitive de Warhol.
Ce mariage a créé un langage visuel novateur, où les émotions intenses de l'expressionnisme se sont manifestées à travers les icônes et les symboles de la culture populaire.
Ce qui est intéressant également par l'apport de Basquiat, c'est la mise en lumière de la culture afro-américaine.
Basquiat et la représentation de l'identité noire Basquiat, Basquiat en tant qu'artiste afro-américain, a apporté une perspective unique à leur collaboration.
Son travail mettait en lumière l'expérience de la communauté noire et interrogeait les questions d'identité, de racisme et d'inégalités sociales. il faut bien se reporter tout de même au début des années 80 où tout cela n'existait pas.
Grâce à sa participation à la collaboration avec Warhol, Basquiat a pu attirer l'attention sur la représentation de l'identité noire dans l'art et offrir une voix puissante à cette communauté.
De son côté, Warhol s'est également intéressé à la réappropriation des icônes afro-américaines dans son travail.
À travers ses sérigraphies et ses portraits, il a exploré la célébrité, la notoriété et la perception de la culture noire dans la société américaine.
La mort soudaine de Warhol en 1987 est un choc pour Basquiat : il crée alors "Gravestone" pour surmonter son deuil, dans lequel il cite la série "Cross" de Warhol et son propre motif de tête de crâne. La fleur et le mot Perishable insistent sur la fragilité de la vie.
Alors quel impact sur le marché de l'art ou l'histoire de l'art.
La collaboration entre Basquiat et Warhol a eu un impact majeur sur l'histoire de l'art.
Leur fusion d'esthétiques distinctes, leur exploration de nouvelles formes d'expression, et leur mise en lumière de la culture afro-américaine ont laissé une empreinte indélébile dans le monde de l'art contemporain.
A ne pas manquer !
Jamais exposé du vivant de Basquiat et Warhol, la sculpture "Ten Punching bags ( last supper)" est restée en possession de Warhol jusqu’à son décès en 1987.
Chaque sac porte le visage du Christ d’après une reproduction de la Cène de Léonard de Vinci.
Basquiat a lui inscrit de manière récurrente le mot "Judge".
La foi catholique de Warhol est incarnée ici, évoquant le racisme, la violence et l’injustice dans une période sombre marquée par l’épidémie du Sida et le décès de plusieurs de ses proches.
Si je devais donner mon avis sur cette exposition :
Bien évidemment cette exposition ne peut laisser indifférent qui que ce soit : il s’agit là d’une exposition majeure que seul LVMH peut se permettre, tant par ses possibilités dans le champ du mécénat ou par le lieu qui permet d’accueillir de tels formats.
300 œuvres et documents ont été rassemblés, dont 80 toiles co-signés par les deux hommes.
Une chose m’a frappée : vous ne verrez pas de longues explications à l’entrée de chaque salle
Vous serez somme toute livré à vous-mêmes et à votre propre réflexion.
Et je suppose que cela a été conçu tout à fait sciemment, et ceci lié à la démarche des deux artistes.
Ainsi, bien que les démarches artistiques de Basquiat et Warhol soient différentes, ils partageaient des thématiques communes, telles que la représentation de la culture populaire et l'utilisation de symboles et d'icônes.
Il ne s’agit pas donc pas ici d’admirer, bien que vous pouvez vous arrêter, ce n’est pas interdit devant certains tableaux plus que d’autres, mais là n’est pas à mon sens le but : je vous conseille de trouver votre propre tempo pour évoluer de salles en salles ( très nombreuses) déclinées sur plusieurs niveaux.
Je vous fais partager une sensation étrange, qui m’est tout à fait personnelle.
Ces tableaux arrachés de leur environnement d’origine – du New-York bouillonnant des années 80 et de la Factory dont je vous ai parlé tout à l’heure – m’ont semblé un peu comme désacralisés- comme les icônes des églises exposés dans les salles du Louvre.
Cette exposition demeure exceptionnelle.
Alors allez au musée et ne manquez pas cette occasion unique de partager ce duo Basquiat / Warhol qui vous ne pourra en aucun cas vous laisser indifférent.
Elodie Couturier