Ellsworth Kelly: une exposition à bémols.
Voir et comprendre Ellsworth Kelly : rétrospective phare à la Fondation Louis Vuitton
Je vous emmène aujourd’hui à la fondation Louis Vuitton à l’exposition Kelly Ellsworth « Formes et couleurs 1949-2015 »
La Fondation Vuitton célèbre le centenaire de la naissance du peintre et sculpteur abstrait américain en réunissant une centaine de ses œuvres, qui se tient du 4 mai au 9 septembre 2024.
Il s’agit d’une rétrospective majeure certes, mais à laquelle je souhaiterais apporter quelques bémols.
Alors avant de vous faire partager mon point de vue quant à cette exposition, laissez-moi revenir sur Kelly Ellsworth et vous faire découvrir quelle place il tient dans l’histoire de l’art, en explorant son lien avec les courants artistiques majeurs de son époque, ainsi que les tendances parallèles en Europe et en France. Nous examinerons également comment, en s'inspirant de la nature et du monde qui l'entourait, Kelly a renouvelé l'abstraction au XXe et XXIe siècles
Qui est Ellsworth Kelly
Ellsworth Kelly Ellsworth Kelly (1923-2015) est une figure emblématique de l'art abstrait américain, dont le travail a été profondément influencé par les courants du Color Field painting et du minimalisme. Kelly a développé un style unique qui marie une simplicité formelle rigoureuse avec une utilisation audacieuse de la couleur.
le Color Field Painting, c’est quoi ?
Le Color Field painting, un mouvement artistique des années 1950 et 1960, se caractérise par l'application de grandes étendues de couleur sur la toile, créant des champs visuels immersifs. Ellsworth Kelly, bien qu'il ne se soit jamais strictement identifié à un mouvement unique, est souvent associé à cette tendance. Contrairement aux expressionnistes abstraits, qui mettaient l'accent sur le geste et la texture, les artistes du Color Field painting, comme Mark Rothko et Barnett Newman, privilégiaient des surfaces lisses et des couleurs intenses.
Kelly partageait cette approche, mais avec une sensibilité distincte. Ses œuvres sont marquées par des formes géométriques simples et des couleurs vives, souvent appliquées de manière uniforme. Par exemple, dans ses peintures et ses sculptures, Kelly utilise des blocs de couleur pure et des formes épurées qui évoquent des éléments naturels tout en restant résolument abstraits. Cette méthode permet à la couleur et à la forme de devenir les sujets principaux, créant une expérience visuelle directe et puissante.
Minimalisme et Simplification Formelle
Ellsworth Kelly est également lié au minimalisme, un mouvement qui émerge dans les années 1960 en réaction contre l'excès perçu de l'expressionnisme abstrait. Les minimalistes, comme Donald Judd et Carl Andre, cherchaient à réduire l'art à ses éléments essentiels, éliminant le superflu pour se concentrer sur la pureté de la forme et de l'espace.
Kelly a contribué à cette esthétique par son approche de la simplification formelle. Ses œuvres se distinguent par des contours nets et des compositions souvent réduites à une ou deux couleurs. Par exemple, sa série de "Panel Paintings" consiste en des panneaux monochromes ou bicolores qui mettent en évidence la relation entre la couleur, la forme et l'espace environnant. Cette approche minimaliste permet à Kelly de créer des œuvres d'une clarté visuelle et d'une intensité chromatique qui captivent le spectateur.
Pour resituer tout cela quelles sont les Tendances en Europe et en France ?
Pendant que Kelly développait son langage artistique en Amérique, l'Europe connaissait également une évolution de l'abstraction. En France, des mouvements comme le Nouveau Réalisme et Supports/Surfaces prenaient de l'ampleur. Le Nouveau Réalisme, avec des artistes comme Yves Klein et Arman, explorait de nouvelles manières de représenter la réalité en intégrant des objets du quotidien dans leurs œuvres. Supports/Surfaces, avec des figures comme Daniel Buren et Claude Viallat, cherchait à déconstruire la peinture en se concentrant sur ses éléments constitutifs : la toile, le châssis, et les pigments.
Cependant, l'influence de l'abstraction géométrique et du constructivisme restait forte en Europe, avec des artistes comme Victor Vasarely en Hongrie et Josef Albers en Allemagne, dont les œuvres mettaient l'accent sur la couleur et la forme de manière similaire à Kelly. En France, Sonia Delaunay et Jean Arp continuaient à explorer les possibilités de l'abstraction géométrique, en utilisant des couleurs vives et des formes dynamiques.
Renouvellement de l'Abstraction par l'observation de la nature
Ce qui distingue particulièrement Ellsworth Kelly, c'est son inspiration directe de la nature et du monde qui l'entourait. Contrairement à de nombreux artistes abstraits qui cherchaient à se détacher de la représentation, Kelly trouvait dans les formes naturelles une source inépuisable de motifs et de structures. Ses célèbres "Plant Drawings" montrent son processus d'observation minutieuse et de simplification des formes naturelles en compositions abstraites. Il transformait les contours des feuilles, les ombres des branches, et les courbes des pétales en œuvres d'art abstraites d'une grande élégance et simplicité.
Kelly a ainsi renouvelé l'abstraction en la reconnectant à l'expérience visuelle directe. Ses œuvres, bien que non figuratives, conservent une résonance avec le monde naturel, permettant au spectateur de ressentir une connexion avec la réalité tangible à travers la pureté de la forme et de la couleur.
L'exposition de la Fondation Louis Vuitton
L'exposition de la Fondation Louis Vuitton met en lumière des œuvres capitales de la carrière d'Ellsworth Kelly, allant de ses débuts à ses dernières créations. Ce parcours permet de constater la grande diversité de ses pièces : photographies rarement exposées, séries de dessins, peintures de jeunesse, collages et œuvres monochromes.
Parmi les incontournables de cette exposition, on peut admirer "Yellow Curve", une peinture pionnière dans l'art de Kelly. Cette installation, couvrant plus de 60 m², est présentée dans un espace créé sur mesure pour l'occasion. On découvre aussi des œuvres majeures telles que "Tableau Vert" (1952) et "Painting in Three Panels" (1956), sans oublier "Spectrum".
L’exposition retrace l'exploration par l'artiste de la relation entre forme, couleur, ligne et espace à travers des œuvres-clés issues de périodes charnières de sa carrière. Les œuvres exposées couvrent un large éventail de supports utilisés par Kelly, allant de la peinture à la sculpture en passant par les œuvres sur papier, le collage et la photographie.
Mon avis sur l’exposition
Si je devais vous donner mon avis sur cette exposition, c’est une rétrospective importante qui permet de constater qu’Ellsworth Kelly demeure une figure majeure de l'abstraction, ayant su marier les influences du Color Field painting et du minimalisme tout en développant un langage visuel propre.
Son œuvre, inspirée par la nature et le monde qui l'entourait, a permis de renouveler l'abstraction en offrant une expérience visuelle directe et immersive. Alors que les tendances en Europe et en France évoluaient, Kelly a su rester unique, contribuant de manière significative à l'évolution de l'art abstrait aux XXe et XXIe siècles. Son héritage continue d'influencer les artistes contemporains et de captiver les amateurs d'art du monde entier.
Alors bien entendu tous les journalistes crient au génie, mais je ne partage pas cet avis.
Loin de moi l’intention de critiquer Ellsworth Kelly, mais plutôt l’exposition.
J’ai croisé de nombreuses personnes qui m’ont rapporté ne rien comprendre.
Les textes proposés, bien que pertinents, ne leur a pas apportés beaucoup d’éclaircissements.
L’espace se prête tout à fait à l’exposition de ces œuvres, mais tout cela demeure froid, et très impersonnel.
Voici l’avis d’un visiteur : « L'exposition n'est qu'une succession de toiles et de grandes plaques de bois monochromes découpées sans aucun intérêt. Certaines toiles présentent des motifs sans intérêt dignes d'un catalogue Ikéa ou La Redoute. Où est le génie ? »
Même si je vous ai sélectionné le commentaire le plus négatif, on ne peut légitimement crier au génie, si on ne connaît pas le contexte de création que j’ai tenté de vous expliquer précédemment.
Cependant, si vous ne connaissez pas Ellsworth Kelly, allez-voir cette exposition et vous diriger ensuite vers la seconde exposition : Matisse l’Atelier Rouge, qui fera l’objet d’une autre vidéo.
Cette exposition l’Atelier Rouge est présentée par la presse comme un regard croisé
Henri Matisse (1869-1954) et Ellsworth Kelly (1923-2015) côte à côte sous les toits en verre courbé de la Fondation Vuitton! C’est un mariage étrange que nous propose Suzanne Pagé, la directrice artistique du lieu.
On peut toujours y trouver des points communs : j’ai lu « l’amour de la couleur », certes mais peu probant.
Mon conseil : commencez par l’exposition d’Ellsworth Kelly et reposez-vous l’esprit avec Matisse.
Elodie Couturier