Francis Bacon, Oedipe et le Sphinx d'après Ingres, analyse

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Francis Bacon, analyse du tableau Oedipe et le Sphinx d'après Ingres

 
Le peintre :
 
Francis Bacon est un peintre d’origine britannique, né en 1909 à Dublin et mort en 1992 à Madrid. Peintre de la cruauté, de la violence mais aussi de la tragédie, c’est tout naturellement qu’il a donné sa version du mythe tragique d’Œdipe.
 
Composition : Le tableau est composé à partir de plusieurs points de fuite. Les lignes verticales ne sont pas perpendiculaires au sol, on peut le voir dans la structure de la porte. Cela donne à la peinture un côté très instable et déséquilibré. Le tableau est composé principalement de formes géométriques rectangulaires et circulaires, qui donnent l'impression d'un château de cartes qui peut s'effondrer à tout moment. La profondeur est créée par les murs qui fuient vers l'arrière, comme en perspective, mais elle est au même temps niée par les aplats de couleurs et à l'absence d'ombres qui donnent l'impression que tout est sur le même plan. Le cadrage est un plan moyen, on est proche de l'action. En effet les corps d'Œdipe et du Sphinx sont à moitié coupés. Le sol donne une impression de contre-plongée tandis que les personnages sont représentés de face, ce qui accentue l'instabilité de l'œuvre. On est dans un espace intérieur. Symboliquement, on se trouve à l'intérieur des personnages.
Cette scène peut se diviser en trois zones: le tiers gauche du tableau est la zone du Sphinx, la porte est la zone de l'Erynie et le reste est la zone d'Œdipe. Œdipe et le Sphinx sont mis en évidence car ils sont les deux personnages principaux, mais Bacon crée un espace réserver l'Erynie car celle-ci représente le futur qui est également important.
 
Couleurs : Le rose et le beige sont les couleurs prédominantes. Ce sont plutôt des tons clairs, et pourtant forts, créant une atmosphère de sérénité. Cependant, les trois taches rouges: sur le pied d'Œdipe et la tête du Sphinx ainsi que celle de l'Erynie, et le noir du mur derrière la porte viennent perturber cette sérénité. Le rose est principalement utilisé en aplat sur les murs. Cela est renforcé par la violence du geste pour représenter le sang: l'artiste sembla avoir jeté la peinture sur la toile. Puis une ellipse bleue met en évidence le pied ensanglanté d'Œdipe. Le bleu et le rouge confèrent à ce tableau une violence incisive. Seuls quelques dégradés modèlent les corps d'Oedipe et du Sphinx. Toutes ces couleurs sont présentes dans le tableau d'Ingres. Par contre les superpositions subtiles de couleurs qui permettent de créer des nuances et du modèle grâce au travail de l'huile ne sont pas réutilisées par Bacon. Les couleurs semblent donc plus vives malgré leurs tons pastel.
Lumière : Contrairement à Ingres qui utilise une opposition claire entre l'ombre et la lumière, le tableau de Bacon semble baigné de lumière. Il met Œdipe et le Sphinx dans le même espace. La lumière est artificielle et n'a pas de source définie, ce qui annule les ombres portées des objets et sur les corps. Cette luminosité étrange semble celle d'une scène de théâtre. Ceci apporte à la scène sa modernité.
 
Le Sphinx est une créature de la mythologie grecque. Elle se trouve sur un piédestal dans la partie gauche du tableau, comme une statue ou une œuvre d'art. Il est asexué. Son visage flou vient rompre avec le reste du tableau traité en aplats, par contre il nous est familièrement humain. Cela rend le personnage impossible à identifier, anonyme. Une tache rouge couvre ce visage, représentant la violence et le danger de la créature. Elle nous est représentée de profil, mais on devine que son visage est tourné vers nous. Elle regarde Œdipe et le spectateur. Ainsi, elle interpelle le spectateur : l' "Homme", qui est la réponse à son énigme.
 
Œdipe a le corps lourd qui contredit l'idéal du corps parfait du Romantisme. Il porte des habits de sport : un short bleu et un t-shirt blanc. C'est une tenue moderne et simple, elle n'a aucune individualité et contredit aussi l'idéal du corps nu caractéristique du Romantisme qu'on trouve chez Ingres. Tout comme le Sphinx, il a un visage flouté. Bacon utilise des nuances pour ébaucher l'idée de visage humain tout en interdisant son identification. Le personnage devient lui aussi anonyme et on pourrait même dire qu'il est un personnage stéréotypé, si ce n'était le fameux pied ensanglanté qui caractérise Oedipe. Sa jambe droite est levée comme s'il s'élançait pour enjamber une haie. On a l'image d'un athlète. Son pied est posé péniblement sur un piédestal. Il cherche ainsi à se hisser au niveau du Sphinx qui le regarde. La créature l'interroge sur sa propre humanité. Elle lui pose une énigme dont la réponse est l'Homme. En effet, Bacon évoque ici l'homme d'après-guerre, qui s'interroge sur la violence dont il est capable. L'artiste adapte cette scène du mythe d'Œdipe à une question philosophique plus moderne. Il créé un lien entre un mythe de l'Antiquité et un problème de l'actualité, il réactive ainsi le mythe et le rend intemporel et contemporain. Notre attention est attirée par l'ellipse bleue entourant le pied. Elle nous indique ce que nous devons observer : l'infirmité originelle. Œdipe est blessé, il n'est plus l'incarnation de l'intelligence humaine comme chez Ingres. Les deux tâches de sang peuvent être une annonce du geste qui clôt la tragédie du personnage: il se crève les yeux. Ce geste est reflété dans l'Erynie, au fond du tableau.
 
L'Erynie est également une créature mythologique grecque, elle personnifie la malédiction lancée par quelqu'un et est chargée de punir les crimes pendant la vie de leur acteur. Son visage est encore plus flou et confus que ceux d'Œdipe et du Sphinx. On a un mélange de bleu grisâtre et différents tons de rouge. On parvient à distinguer deux oreilles rondes et son museau. On dirait qu'elle regarde Œdipe. En effet on devine qu'elle est ici pour punir l'homicide qu'il commit contre sa famille et l'inceste. Elle est souvent représentée avec du sang dans ces yeux. Dans ce cas, le sang a un double symbolisme: il nous permet d'identifier le personnage mais aussi annonce la fatalité du destin d'Œdipe. L'Erynie se trouve au même niveau que le pied d'Œdipe, mais au-dessus. Elle annonce le destin vers lequel s'achemine Œdipe.
 
Tout dans ce tableau contribue à inquiéter celui qui le regarde : l'absence de nature et presque d'humanité, la violence des couleur, des traits et du traitements de certains éléments tels que les visages et le pied d'Œdipe. Elle s'oppose à l'œuvre d'Ingres, dont l'artiste s'est inspiré. Ingres construit une image très rigoureuse pour répondre à un idéal classique, tandis que le tableau de Bacon repose sur un déséquilibre et une violence choquante. Chez Ingres, cette scène n'est qu'un prétexte à la représentation du corps masculin idéal, alors que chez Bacon, on est face à une réinterprétation  de ce mythe qui a pour but d'exposer et faire réfléchir sur la monstruosité de l'humanité après la guerre. Ingres nous présente un temps passé idéalisé, contrairement à Bacon qui nous confronte avec un temps présent imparfait.
 
 Les similitudes entre les deux toiles sont très nombreuses et on comprend que Bacon a peint une nouvelle version du tableau d’Ingres, et les éléments qu’il a modifiés ou apportés sont à interroger.
- On retrouve quasiment la même composition : position d’Œdipe, présence du sphinx en hauteur face à lui, arrière-plan avec une ouverture.
- De nombreuses différences apparaissent : Œdipe a la jambe droite en avant et non plus la gauche, il semble s’élancer comme pour enjamber une haie, il ne tend pas le doigt comme dans la version d’Ingres mais il a le poing fermé. Enfin son visage est indéfini, et des bandages ensanglantés entourent sa jambe.
- Le sphinx est lui aussi plus indéfini que dans la version d’Ingres et si la poitrine lui attribue le genre féminin ce n’est pas le cas de son visage.
- Enfin on aperçoit dans le fond derrière une porte une espèce de créature qui semble prendre la place de l’homme levant les bras du tableau d’Ingres.
- Les couleurs sont aussi très différentes car Bacon n’a pas utilisé beaucoup de nuances. On observe aussi des cercles sur la toile : au niveau du pied d’Œdipe, de son bras et de son entrejambe, et enfin on discerne une flèche blanche à l’arrière-plan au dessus de la créature.
 
 Interprétation du tableau
- Les couleurs du tableau de Bacon, les visages flous, indéterminés, la présence d’un monstre et d’une porte qui ne s’ouvre sur rien évoquent une scène de rêve ou de cauchemar. Depuis les travaux de Freud nous savons que les rêves sont en quelque sorte le langage de l’inconscient. Ce tableau pourrait donc se lire comme la mise en images de désirs inconscients.
- Il y a en effet une dimension symbolique forte dans ce tableau : ainsi les pieds percés entourés d’un cercle bleu renvoient clairement à l’enfance d’Œdipe. L’autre cercle entoure l’entrejambe d’Œdipe et a presque pour centre son sexe, ce qui ramène à un autre épisode du mythe : lorsque Œdipe a épousé sa mère et a commis l’inceste.
- Enfin reste la question du monstre à l’arrière-plan : dans la mythologie grecque il existe des créatures hideuses persécutrices et vengeresses : ce sont les Erynies, et il semble bien que ce monstre soit une Erynie. De plus si l’on regarde attentivement on constate que la flèche blanche pointe l’œil de la créature et celui-ci est écrasé et ensanglanté. Ainsi nous avons une nouvelle et dernière référence au mythe : Œdipe, après avoir découvert ses crimes, s’est percé les yeux pour ne plus les voir.

- Ainsi ce tableau semble réunir en une seule toile les différentes étapes de la tragédie : les pieds percés après la révélation de l’oracle, l’inceste puis l’aveuglement. Trois moments différents, distants les uns des autres de plusieurs années mais réunis sous la forme d’une vision cauchemardesque formant une composition triangulaire. Bacon souligne ainsi la portée psychanalytique du mythe d’Œdipe tout comme le docteur Freud l’avait fait avant lui en découvrant le complexe d’Œdipe. Source
 
 
Lithographie Oedipe et le Sphinx sur Expertisez.com
 
 

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