Germaine Richier, l'initiée initiante

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A la découverte de Germaine Richier au travers de l'exposition majeure au musée Beaubourg à Paris.

Entre l’exposition de 1956 et celle qui se tient à Beaubourg actuellement jusqu’au 12 juin – et ira, du 12 juillet au 5 novembre, au Musée Fabre, à Montpellier –, il n’y a pas eu une seule rétrospective d’ampleur dans un musée parisien.

Celle de la fondation Maeght en 1996 est restée sans suite pendant 25 ans.

En 2014, cependant, son œuvre a été ressuscitée lors d'une exposition de près de 50 de ses œuvres à la Dominique Lévy Gallery et à la Galerie Perrotin à New York, ainsi que lors d'une rétrospective au Kunstmuseum de Berne, en Suisse.

Alors qui est donc cette femme sculpteur Germaine Richier ?

Son nom ne vous est peut-être pas familier, mais Germaine Richier est une femme qui aura marqué son époque et l’histoire de la sculpture. Elle aura un impact définitif et décisif sur toute une génération d’artistes comme César. Certaines sculptures de César rappellent en effet la marque de cette indéniable transmission.

Me concernant, je ne connaissais que certaines pièces phares vendues dans le cadre de vente aux enchères publiques, dont certains exemplaires sont exposés ici : on retrouvera Homme de la nuit n°31, 27,2 cm bronze, adjugé 48.000 euros, La sauterelle adjugée, 80 cm, 45.000 euros

Mais je n’avais jamais eu une vision globale de l’œuvre de Germaine Richier pour en appréhender sa signification.

Si le journal Le Monde titre l’un de ses articles en plaçant les sculptures de Richier sous le signe de la destruction et de la terreur, je qualifierais pour ma part les sculptures de Germaines Richier comme une construction, au travers d’une véritable démarche initiatique que fut la sienne.

Avant de nous pencher sur ce propos, permettez-moi de revenir sur Germaine Richier : qui est-elle ? Que recherchait-elle ?

Resituons brièvement son parcours.

Ses mentors sont Rodin et Bourdelle.

Ses contemporains comptent le grand Giacometti.

Germaine Richier a étudié l'art à Montpellier. Elle est allée à Paris en 1926, et a appris à travailler le bronze dans l'atelier d'Antoine Bourdelle jusqu'en 1929.

En 1934, elle commence à exposer des bustes, des torses et des figures classiques (par exemple, Loretto, 1934).

Son talent est reconnu dès les années 1930 avec une exposition personnelle en 1934 à la Galerie Max Kaganovitch, le prix Blumenthal de sculpture en 1936 et une exposition de ses œuvres à l'Exposition universelle de Paris en 1937.

Germaine Richier a passé la Seconde Guerre mondiale en Provence, en France, et à Zürich et a exposé des œuvres au Kunstmuseum Winterthur à  Zürich, en 1942, et au Kunstmuseum Basel en 1944.

Germaine Richier retourne à Paris après la guerre. Dans les années 1940, ses figures sont devenues des expressions allégoriques et parfois hybrides de l'humanité et de la nature, comme dans cet exemple La Forêt (1946), où l'on peut voir un homme avec ce qui ressemble à des branches d'arbre en guise de bras, et La Femme ouragan (1948-49), une femme debout qui est une allégorie de la survie humaine - dans ce cas, de la Seconde Guerre mondiale. Une fascination pour les formes d'insectes et les créatures nocturnes est illustrée dans Praying Mantis (1946).

C’est dans ses sculptures de formes humaines, apparemment malmenées et torturées, que son imagerie personnelle est la plus forte.

Au début des années 1950, elle a produit des figures primitives avec de grands espaces creux ou la simple suggestion de parties - par exemple, Eau (1953-54 ; bronze). Plus tard, Richier expérimente des figures et des sculptures en verre coloré et en plomb sur des fonds abstraits créés par les peintres Maria Elena Vieira da Silva, Hans Hartung et Zao Wou-ki.

Une importante exposition de ses œuvres est organisée au Musée national d'art moderne de Paris en 1956, et sa première exposition personnelle à New York a lieu l'année suivante.

Après sa mort précoce due à un cancer en 1959, trois ans après sa mort, alors qu’elle est morte durant l’été, ses bronzes sont confrontés à ceux de Giacometti et aux toiles de Bacon, Dubuffet, Pollock ou De Kooning dans l’exposition « New Images of Man » au Museum of Modern Art (MoMA) de New York : la consécration internationale est venue, préparée par des expositions à New York, Londres ou Berne et par ses participations à la Biennale de Sao Paulo, dès sa première édition en 1951, et, plusieurs fois aussi, à celle de Venise.

Picasso, Ernst, Miro et bien d’autres lui manifestent leur admiration. Jean Paulhan, Georges Limbour, Francis Ponge, et tant d'autres.

Les auteurs qui écrivent à son sujet sont nombreux également.

Néanmoins, Richier a été largement oubliée dans le monde de l'art, son héritage n'étant visible que dans l'œuvre d'une poignée de sculpteurs de la fin du XXe siècle, tels que Lynn Chadwick, César et Reg Butler.

L’exposition nous permet de tenter de répondre à cette question par une proposition chronologique tout en soulignant les thèmes qui ont nourri sa recherche artistique (L’humain, l’animal, les mythes)

C’est d’ailleurs extrêmement bien conçu, car cela permet d’évoluer avec l’artiste et ainsi mieux appréhender à mon sens sa démarche.

Non seulement cela, mais également de poser cette femme comme un élément incontournable dans l’histoire de la sculpture.

De façon schématique, on pourrait placer Germaine Richier comme un chaînon entre Rodin et César.

De chaînon, je dirais qu’elle serait un maillon qui permet de lier la sculpture de Rodin, initiateur de la sculpture moderne à celle de César, initiateur de la sculpture contemporaine.

Un peu simpliste peut-être, mais cela permet d’apporter déjà un marqueur.

La sculpture de Germaine n’est pas évidente de prime abord et certaines d’entre elles sont peut-être assez difficiles à appréhender. Et je dois dire que c’est cela que je trouve intéressant.

Connue essentiellement pour ses dernières années, sa sculpture a été souvent associée à un monde étrange, surréaliste, malsain.

Mais si Germaine Richier déclare que « le but de la sculpture, c’est d’abord la joie de celui qui la fait », et comme toute joie, elle ne peut être que partager et aura su amorcer l’émulation de toute une génération de sculpteurs après elle.

Je trouve que l’un des thèmes centraux dans l’œuvre de Germaine Richier est l’humain.

Elle n’aura de cesse de sculpter l’être humain, dans un style classique, puis petit à petit la recherche déstructure l’être humain.

Mais il ne s’agit là que d’une appréciation visuelle, car la structure est bien là.

Elle va chercher au plus profond d’elle-même ce que l’être humain lui évoque.

En 1946, elle modèle L’Orage, un être massif et sans visage, creusé, déchiqueté et troué.

L’artiste considère ses statues comme des êtres vivants, jusqu’à concevoir des tombeaux de pierre aux formes géométriques pour le couple que forment L’Orage et L’Ouragane.

Elle va même plus loin, poussant la représentation vers une hybridation entre l’humain et les formes de la nature.

Son œuvre se peuple de créatures qui pourraient sortir pour certaines de films fantastiques. Je peux citer la Femme-araignée ou l'homme-chauve-souris.

J’ai même entendu pendant l’exposition accorder une ressemblance frappante de la sauterelle avec la créature d’Alien.

Mais il ne s’agit pas tant d’être hybrides, mais d’une osmose entre l’homme et la nature animale et végétale.

Certaines de ses sculptures incluent des objets naturels, des débris ramassés dans sa Provence natale : une branche d’olivier pour L’Homme forêt (1945), un morceau de brique pour la tête du Berger des Landes (1951).

Un petit espace est dédié à un ensemble d’objets de l’atelier, un véritable petit cabinet de curiosité (bois flottés, galets, racines, insectes) et sa collection de compas comme des insectes épinglés au mur.

D’ailleurs, prenez le temps dans ce petit passage, pour écouter la voix de Germaine Richier des archives de l’Ina, qui parle de la place de la femme dans le monde de la sculpture.

Alors que le journaliste lui demande si le fait qu’elle soit la seule femme sculpteur de renom de son temps liait cet effet à une cause machiste, elle s’en défend tout de suite.

Elle affirme que les hommes ne l’ont jamais empêché d’avancer. Elle croit en l’égalité de l’homme et de la femme.

Parenthèse fermée, vous ressortirez encerclés de personnages hybrides et mystérieux, certaines tenues par des fils.

Germaine Richier est une véritable architecte de l’espace.

Une photographie étonnante montre l’un de ses modèles qui porte des traces sur son corps, initiant le processus de création, à l’image de cette série de sculptures à fils, initiées dès 1946.

Un fil conducteur, en fait, qui nous permet de placer la sculpture dans l’espace.

Par cet effet de tensions tout en équilibre, elle place l’homme dans sa recherche permanente entre les dissensions qui peuvent l’animer.

Ses sculptures sont empreintes du sacré.

« L’œuvre de Richier est une initiation aux mystères », écrit Jean Cassou en 1956

Au même titre que Germaine Richier disait que seule l’humain compte, son chemin passe par les origines de l’homme, ses racines, à l’image de La Montagne, faites d’os et de branches.

Mythes et légendes se mélangent dans notre esprit pour se fondre avec les sculptures de Germaine Richier.

Bien que physiquement étranges, hybrides, les sculptures n’ont pourtant rien d’effrayant.

Elle ne cherche en rien  à montrer l’agressivité de l’homme ou lson côté sombre, mais à révéler la complexité qu’est l’être humain.

En perpétuelle recherche du sacré, Germaine Richier sera à l’origine d’une grande polémique "la querelle de l’art sacré".

Germaine Richier a réalisé le grand Christ pour l’église d’Assy, à la demande du père Couturier, qui suscitera en 1951 un succès de scandale.

La représentation étant jugée blasphématoire jusqu’au Vatican, le Christ est banni du chœur de l’église malgré les protestations, et ne retrouvera sa place qu’en 1969, dix ans après la mort de l’artiste.

L’exposition de cette œuvre rendue possible par le prêt exceptionnel du diocèse d’Annecy est un pur chef d’œuvre en soi : que de force et d’émotion dans ce christ, dont l’épuration ramène à notre intrinsèque.

La dernière partie de l’exposition fait place à la couleur.

Observez cette sculpture au cœur qui bat au travers de l’inclusion de morceaux de verre coloré, encore un hommage au travail du vitrail.

Belle symbolique, le vitrail ne laissant passer que peu de lumière pour préserver le sacré.

La couleur prend progressivement une place cruciale dans ses œuvres.

Richier demande à ses amis peintres de colorer le fond de certaines pièces : ce sera le cas avec Maria Elena Vieira da Silva et Hans Hartung en 1952-1953 et Zao Wou-Ki en 1956.

À la fin de sa vie, elle ira jusqu’à peindre et émailler certains de ses bronzes ou plâtres, leur conférant une animation toute nouvelle, à l’image du Grand Échiquier peint, dernière grande pièce de l’artiste et synthèse de sa création, interrompue par sa mort précoce en 1959.

Si je devais vous donner mon avis sur cette exposition, cette exposition est prodigieuse et mérite définitivement le voyage.

Je ne pense pas que l’émulation soit telle que celle dédiée à Vermeer, mais sincèrement, j’augure pour cette exposition un succès indéniable et mérité.

Tout y est bien conçu : pas de textes exhaustifs, une sobriété à la hauteur de l’artiste.

Un espace extrêmement bien conçu : la déambulation se fait souple, entre les sculptures, sans brutalité, sans orientation particulière.

L’éclairage – que je critique souvent – est parfait, permettant à l’ombre des sculptures de se détacher sur les murs immaculés du musée.

La sculpture se veut vivante.

Observer l’orientation des groupes, les sculptures semblent se regarder, se répondre.

Quel bonheur de pouvoir être si proche des sculptures : une intimité se met en place, le lien est créé.

Qu’on le veuille ou non, la sculpture est mal connue du grand public et je ne saurais que saluer cette initiative heureuse de mettre en avant la sculpture.

Et comme a pu le dire un être qui m’est cher : « Chassez la sculpture, elle revient au galop »

Alors sans faire de mauvais jeu de mot, galopez au musée et profitez de cette magnifique exposition.

Elodie Couturier

 

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