Henry Cros : toute l’antiquité dans une âme nouvelle
Henry Cros : toute l’antiquité dans une âme nouvelle au musée des arts décoratifs à Paris
Je vous emmène aujourd’hui dans une charmante exposition Henry Cros, sculpteur et dessinateur qui se tient du 6 mars au 26 mai 2024 au musée des Arts décoratifs à Paris.
Ce nom d’Henry Cros ne vous dit peut-être pas grand-chose, mais dans quelques minutes, ce ne sera plus le cas.
Avant de vous faire partager mon avis sur cette exposition, je vous invite à découvrir qui était Henry Cros et en quoi il s’est positionné comme un artiste novateur, en apportant une contribution significative à l'art moderne, au travers de plusieurs innovations techniques et artistiques qui ont marqué son époque, influençant les générations futures.
Henry Cros, univers artistique familial
Né dans une famille d'intellectuels, Henry Cros (1840-1907) est encouragé très tôt à exprimer sa créativité. L'apprentissage de la peinture dès 1854 a marqué le début de son parcours artistique. Son choix de rejoindre l'École des Beaux-Arts de Paris montre l'influence déterminante de son environnement familial sur sa décision de se consacrer à la sculpture.
Les trois frères, Henry, Charles, et Antoine ont tous contribué de manière significative dans leurs domaines respectifs, de la sculpture à la poésie et à la médecine, à créer un environnement où les idées circulent librement, encourageant l'exploration créative.
Notons que Charles Cros, le frère aîné d'Henry, un poète, inventeur et savant, est célèbre pour avoir conceptualisé le paléophone, une idée qui préfigure le phonographe. Membre actif de la société savante « Le Cercle des Philadelphes », où des esprits créatifs se rencontrent pour discuter d'idées novatrices, Henry Cros est stimulé par cette atmosphère intellectuelle qui influence son parcours artistique.
Henry Cros au travers de l’exposition
Cette exposition monographique, sans équivalent depuis la rétrospective de 1922 par le Salon d’Automne et aujourd’hui présentée à l'occasion du Salon du dessin de 2024, célèbre l'héritage artistique d'Henry Cros.
Avec des œuvres inédites issues de donations faites au musée depuis 1914, des dessins compulsifs, des carnets personnels conservés par sa famille, des innovations techniques, et une vie artistique riche en relations influentes, Cros émerge comme une figure incontournable de l'art du XIXe siècle
Henry Cros, innovateur et précurseur de l’art moderne
Du modelage en cire à l’invention de la sculpture à la pâte de verre, on plonge dans l’évolution de l’artiste à travers le temps à la découverte de certaines œuvres jamais présentées au XIXème siècle.
Sa polyvalence artistique, sa recherche incessante de nouvelles formes d'expression, et son approche novatrice de la sculpture et du verre en font un précurseur majeur de l'art moderne.
Après sa contribution majeure au renouveau du modelage en cire, l'une des contributions les plus révolutionnaires d'Henry Cros à l'art moderne réside dans son invention de la technique de la « pâte de verre » en 1884. En explorant la possibilité de mélanger des poudres de verre colorées pour créer des sculptures en couleurs, Cros ouvre une nouvelle voie dans la création artistique.
Des sculpteurs renommés, inspirés par Henry Cros, explorent et perfectionnent cette technique, l'adaptant à leurs propres expressions artistiques, dans la création d'objets décoratifs, de bijoux, de luminaires et d'autres éléments ornementaux. Le mariage de la transparence du verre avec la palette de couleurs offerte par la "pâte de verre" crée des pièces uniques et raffinées.
Ceci a contribué à établir la "pâte de verre" comme une technique reconnue et appréciée dans le monde artistique.
Bien que la liste d'artistes inspirés par Henry Cros ne soit pas exhaustive, on peut citer
François Décorchemont (1880-1971) est souvent cité parmi les premiers à avoir poursuivi le travail de Henry Cros dans le domaine de la "pâte de verre", sans oublier Auguste Rodin dont un petit masque en pâte de verre est visible au musée Rodin à Paris.
En s'intéressant à la polychromie et en développant des approches et techniques innovantes pour la sculpture en couleurs, Henry Cros dépasse les conventions artistiques de son époque. Ses sculptures en cire, terre cuite, bronze, et marbre démontrent sa maîtrise technique exceptionnelle et son engagement envers la diversité des formes artistiques.
Une chose importante à noter : lorsque l'on évoque la polychromie dans le contexte d'Henry Cros, il est crucial de reconnaître l'influence de l'antiquité sur ses explorations artistiques. Henry Cros a, en effet, puisé son inspiration dans les pratiques artistiques de l'époque antique, où la polychromie était largement utilisée.
Rappelons que dans l'Antiquité, les sculptures, reliefs et autres œuvres d'art étaient souvent peints avec une variété de couleurs vives. Les artistes de la Grèce antique, par exemple, utilisaient la polychromie pour donner vie à leurs créations, mettant en valeur les détails anatomiques, les drapés des vêtements et d'autres éléments. Cette tradition a été observée dans différentes cultures anciennes, y compris l'Égypte, Rome et d'autres civilisations.
Henry Cros, en tant qu'artiste du XIXe siècle, a donc été influencé par la redécouverte de ces pratiques artistiques antiques.
Cependant, chose importante : Cros n'a pas simplement reproduit ces techniques anciennes, mais les a adaptées et réinterprétées dans le contexte de son époque, contribuant ainsi à une nouvelle expression artistique.
En développant des techniques novatrices pour la sculpture en couleurs, Henry Cros a créé un pont entre l'antiquité et la modernité, laissant une empreinte unique et visionnaire dans l'histoire de l'art.
Cros a également marqué l'histoire de la peinture encaustique, une technique ancienne consistant à mélanger des pigments avec de la cire fondue. Son œuvre majeure, Uranie (1882), témoigne de son exploration de cette technique, montrant son souci constant d'innover et de repousser les limites des médiums artistiques traditionnels. La peinture encaustique est une technique ancienne qui remonte à l'Antiquité. Elle a été utilisée par les Grecs anciens dès le Ve siècle avant J.-C. et était également présente dans d'autres cultures antiques, notamment égyptienne et romaine. Cette technique implique l'utilisation de pigments de couleur mélangés avec de la cire chaude, souvent d'abeille, et parfois avec d'autres additifs tels que la résine.
On retiendra d’ailleurs un dessin de la main de Cros « Visage de femme » de 1870, qui se rapproche de Hawara (100-110 apr. J.-C.), un des portraits du Fayoum, utilisant la peinture à la cire.
Il faut également rappeler dans le cadre de ces innovations le contexte historique en France : rappelons que dans les années 1870 en France, l'influence de l'antique connait un renouveau significatif.
Cela fait partie d'un mouvement plus large connu sous le nom de "Néo-Grec" qui cherche à raviver les styles artistiques de la Grèce antique, influencé par la redécouverte des vestiges archéologiques de la Grèce antique et de Rome, ainsi que par un intérêt croissant pour les idéaux classiques et la simplicité formelle.
Henry Cros, avec son intérêt pour la polychromie, la peinture encaustique et d'autres techniques, s'inscrit donc dans ce contexte plus large de redécouverte et de réinterprétation des formes artistiques antiques au XIXe siècle en France.
Antoine Bourdelle qualifiait l’art d’Henry Cros comme « toute l’antiquité dans une âme nouvelle », tout est dit !
Henry Cros était un contemporain et un ami de figures majeures de son époque, telles que Auguste Rodin, Antoine Bourdelle, Paul Verlaine, et Édouard Manet. Son influence et ses innovations ont été reconnues par ces grands noms de l'art moderne, conférant à Cros une place notable dans l'histoire de la modernité artistique du XIXe siècle.
Mon avis sur l’exposition
L’exposition met en lumière le dialogue fécond entre les pratiques d’Henry Cros à travers plus de cent œuvres rassemblant sculptures, peintures et dessins, issues des collections du musée, aux côtés de quelques prêts exceptionnels. Ses dessins, souvent préparatoires à ses sculptures, offrent un aperçu précieux de son processus créatif. Ils révèlent également sa sensibilité et son goût pour l’observation. Les grandes thématiques de l’artiste sont présentées : portraits d’enfants attendrissants, figures d’une Antiquité rêvée et de contes de fées.
C’est une grande et complète mise en lumière d’un riche héritage artistique, comprenant des œuvres inédites offertes au musée des Arts décoratifs depuis 1914, avec un focus particulier sur les arts graphiques, dont la majeure partie reste encore inconnue du public. Menant une carrière atypique, les innovations artistiques dans l’œuvre d’Henry Cros ne cesseront de vous surprendre.
Cette exposition explore les relations de Cros avec d'autres figures du XIXe siècle, notamment Auguste Rodin, Antoine Bourdelle, Paul Verlaine, Edouard Manet, et ses frères, Charles et Antoine Cros.
Parmi les points forts, on trouve des portraits de figures littéraires et artistiques de l'époque, une grande peinture à l'encaustique, Uranie, et des sculptures en verre coloré. C'est l'occasion d'admirer des projets aquarellés, des masques, médaillons, et bas-reliefs, témoignant de la diversité et de la richesse des thématiques abordées par Cros.
Un coup de cœur pour cette coupe le Silence datée de 1900, en pate de verre. : A l’extérieur une inscription en latin « Ici le grand Hermes ordonne de se taire »
Le visage de femme doigt posé sur les lèvres reprend le geste de l’antique Harpocrate mais la figure de femme empreinte de douceur est typique de l’interprétation du thème par les symbolistes.
Si vous souhaitez en savoir plus, la visite-conférence à l'exposition Henry Cros (1840-1907), sculpteur et dessinateur au musée des arts décoratifs vous donnera à voir une monographie prévue pour le Salon du dessin de 2024 le 21 mars à 18h30 (réservation sur le site du Mad)
Une belle exposition à voir, dont la scénographie est réussie, un éclairage mettant en valeur les délicates nuances et la sensualité des pâtes de verre aux tonalités d’aquarelle.
Ne manquez pas cette belle exposition au musée des Arts décoratifs qui permet un regard croisé de l’innovation en marche avec une époque en pleine mutation, la naissance de notre époque moderne.
Pour l’instant, peu de monde, mais je pense que le bouche à oreille parisien fera son effet et que les amateurs attendront sagement comme ils le font toujours dans le jardin des Tuileries pour accéder à l’exposition.
Elodie Couturier