Jan Van Eyck, un précurseur au Louvre
Jan Van Eyck , La Vierge du Chancelier Rolin au Louvre : une révolution artistique
Je vous emmène aujourd’hui au musée du Louvre autour de l’exposition « Revoir Van Eyck- La Vierge du Chancelier Rolin » qui se tient dans la salle de la Chapelle.
Cette exposition ne dure pas très longtemps, s’achevant le 17 juin prochain.
« Revoir » certes, mais il faudrait plutôt parler d’une » Re-visitation » de l’œuvre.
La Vierge du Chancelier Rolin – n’avait pas été restaurée depuis 1800.
Aujourd’hui, le tableau livre des détails insoupçonnés, occultés par des couches de vernis oxydés, grâce à un travail magistral de restauration.
Alors rassurez-vous – l’approche n’est pas rébarbative et vous ne serez pas noyé dans le pourquoi du comment de la restauration, ce n’est pas l’approche de cette exposition.
Cette exposition pose une série de questions pour guider la compréhension de cette œuvre complexe, qui est l’un des tableaux les plus célèbres, mais également les plus méconnus du musée du Louvre.
En prenant comme point de départ ce tableau et le contexte de sa création, un voyage vous est proposé autour de thématiques artistiques cruciales : le rapport au paysage, aux traditions iconographiques de l’époque, en mettant en rapport ce tableau et un ensemble d’œuvres contemporaines de Rogier Van der Weyden ou Robert Campin pour ne citer qu’eux.
La Vierge Rolin est donc proposée comme un marqueur des tensions entre tradition médiévale et expérimentations révolutionnaires qui traversent l'art flamand au début du 15e siècle.
Alors avant de vous expliquer tout cela et de vous faire partager mon avis sur cette exposition, laissez-moi vous emmener dans l’univers de l’art flamand du début du XVème siècle et de vous faire comprendre en quoi Van Eyck était et demeure aujourd’hui un immense artiste.
L’univers de l’art flamand au XVème siècle
Resituons quelque peu dans un premier temps l’art flamand au XVème siècle de manière pragmatique.
La période des années 1430 à 1450 marque une période d'importance capitale dans l'histoire de l'art, tant en Italie qu'aux Pays-Bas, bien que les deux régions aient connu des développements artistiques distincts et souvent indépendants
En Italie, cette période correspond à la première moitié du Quattrocento, une période de transition marquée par la continuité avec les traditions médiévales et les premiers signes de la Renaissance italienne.
Les années 1430 à 1450 ont vu l'émergence de grands artistes tels que Fra Angelico, Masaccio, Filippo Brunelleschi, et Donatello, qui ont contribué à la redécouverte des principes artistiques de l'Antiquité classique.
Masaccio, par exemple, a introduit des innovations radicales dans la peinture de la perspective et du réalisme, marquant ainsi une rupture avec le style médiéval. Parallèlement, Brunelleschi et Donatello ont révolutionné l'architecture et la sculpture en renouant avec les principes de l'architecture romaine et de la sculpture classique.
Les Pays-Bas sont encore ancrés dans une stylistique médiévale, mais les enjeux de recherches artistiques demeurent les mêmes.
Aux Pays-Bas, cette période est également marquée par des développements artistiques significatifs, avec Jan van Eyck émergeant comme l'une des figures les plus importantes de l'époque. Van Eyck, avec son utilisation novatrice de la peinture à l'huile et son réalisme minutieux, a transformé la peinture flamande et a ouvert la voie à la Renaissance du Nord.
Les années 1430 à 1450 ont également vu l'épanouissement de la peinture gothique internationale dans les Pays-Bas, avec des artistes tels que Rogier van der Weyden et Hans Memling, qui ont continué à développer les traditions stylistiques établies par leurs prédécesseurs.
Malgré les différences géographiques et stylistiques, les années 1430 à 1450 ont été caractérisées à la fois en Italie et aux Pays-Bas par un renouveau artistique et intellectuel, marquant le début de la Renaissance dans les deux régions. Ces développements ont jeté les bases de l'art moderne et ont influencé de manière significative les mouvements artistiques ultérieurs en Europe.
L’artiste dont les découvertes décisives furent ressenties comme absolument neuves fut - vous l’avez compris - le peintre Jan Van Eyck (1390-1441).
Mais alors qui est donc ce Jan Van Eyck ?
A la découverte de Jan Van Eyck
Jan van Eyck est un peintre flamand du XVe siècle, considéré comme l'un des plus grands maîtres de la peinture flamande et l'un des précurseurs de la Renaissance du Nord.
Mais alors pourquoi ?
À son époque, Van Eyck contribue à transformer la peinture en introduisant plusieurs innovations techniques et stylistiques que vous constaterez sans peine en observant le tableau de la Vierge du Chancelier Rolin.
Tout d’abord l’utilisation de la peinture à l’huile.
Van Eyck est l'un des premiers à maîtriser l'utilisation de la peinture à l'huile, ce qui lui permet d'obtenir une palette de couleurs plus riche, des transitions subtiles et une précision remarquable dans les détails.
Car il faut rappeler qu’avant l'introduction de la peinture à l'huile, les artistes utilisaient principalement des techniques de peinture à base d'eau, telles que la tempera et la détrempe. La tempera est l'une des techniques de peinture les plus couramment utilisées avant l'avènement de la peinture à l'huile. Il s’agitd’un mélange de pigments avec un liant à base d'eau, généralement du blanc d'œuf. La tempera sèche rapidement et produit des couleurs vives, mais elle a des limites en termes de transparence et de mélange de couleurs, et elle peut avoir un aspect plat.
La détrempe est une technique de peinture similaire à la tempera, mais elle utilise d'autres liants à base d'eau tels que la colle animale. Elle était également populaire avant l'avènement de la peinture à l'huile. La détrempe offre une plus grande flexibilité que la tempera en termes de transparence et de texture, mais elle reste sujette aux craquelures et à la dégradation avec le temps.
Cette technique a révolutionné la peinture en offrant aux artistes de nouvelles possibilités d'expression, grâce à la capacité des pigments à être mélangés de manière plus fluide et à la transparence naturelle de l'huile.
Grâce à cela, mais pas seulement, Van Eyck parvient à représenter des détails minutieux avec un réalisme saisissant, que ce soit dans les portraits, les paysages ou les natures mortes. Il développe alors des techniques pour capturer la texture des matériaux, les reflets de la lumière et les expressions des visages avec une précision remarquable.
Mais cela ne s’arrête pas à la technique : Il est également un pionnier dans la création d'une illusion de profondeur spatiale dans ses peintures, en utilisant des techniques de perspective et en rendant les objets à différentes distances avec un souci du réalisme.
L'observation minutieuse de la nature et des détails est une caractéristique marquante de l'œuvre de Van Eyck.
Van Eyck a également été l'un des premiers à développer le portrait individuel en tant que genre distinct, mettant l'accent sur la représentation précise des caractéristiques physiques et psychologiques de ses sujets.
Et c’est bien cela qui est retranscrit dans cette exposition : vous verrez bien entendu le tableau La Vierge du Chancelier Rolin entouré d’ un décryptage qui vous permet de vous faire comprendre la naissance de ce tableau et l’accomplissement de cet artiste tout à fait exceptionnel.
Alors faisons les choses chronologiquement et penchons-nous sur le tableau : La Vierge du Chancelier Rolin
La Vierge du Chancelier Rolin
La Vierge du Chancelier Rolin est une peinture réalisée par Jan van Eyck vers 1435. Elle représente le chancelier Nicolas Rolin agenouillé devant la Vierge Marie, avec l'Enfant Jésus sur ses genoux.
Le tableau est empreint de symbolisme religieux et politique, et il est commandé par Nicolas Rolin lui-même, probablement pour orner un autel ou une chapelle privée.
La restauration commencée en 2021 a rendu lumière et éclat révélant une palette subtile et riche en couleurs et chose plus étonnante encore : le revers est peint d’un faux marbre très bien mis en valeur dans l’exposition. Un détail tout à fait étonnant et inédit.
Sincèrement vous serez désarçonnés par le revers du tableau, une œuvre quasi abstraite. Elle témoigne du fait que l’œuvre était faite pour être vue.
Donc un panneau moderne pour l’époque qui amène à plusieurs questions quant à l’œuvre elle-même.
Quels sont les objectifs de Van Eyck en créant cette œuvre pour le chancelier Nicolas Rolin ?
Les objectifs de Van Eyck en créant cette œuvre pour le chancelier Nicolas Rolin sont probablement multiples.
Tout d'abord, rappelons que le Nicolas Rolin (1376-1462) a été pendant 30 ans le chancelier de Philippe Le Bon administrant le vaste duché qui s’étend alors jusqu’au nord des pays bas actuels.
C’est donc un homme très important qui doit consolider son image sur terre. Mais il doit également penser à préparer son salut.
Peut-être que l’édification d’une chapelle destinée à recevoir sa sépulture est à l’origine de la commande de ce panneau, rappelant les vivants à sa mémoire.
Mais le tableau semble pourtant aller au-delà d’un simple mémorandum.
Van Eyck doit certes représenter le chancelier Rolin en tant que dévot pieux, montrant ainsi sa dévotion à la Vierge Marie et à la religion catholique tout en reflétant sa position sociale et son pouvoir politique.
Il est donc représenté comme une figure importante de son époque, bénéficiant de la grâce divine par son interaction avec la Vierge et l'Enfant, mais le tableau dépasse cet aspect, somme toute très classique pour l’époque.
Il est tout à fait probable que le détail du paysage à l’arrière-plan, traité comme un livre d’heures soit en rapport avec l’usage de ce panneau par le Chancelier Rolin qu’il emportait probablement dans ses déplacements pour soutenir sa prière privée.
Pourquoi le paysage en arrière-plan est-il si minutieusement détaillé, mais presque invisible ? Quel est ce jardin entre terre et ciel ?
Le paysage en arrière-plan, bien que minutieusement détaillé, est presque invisible car il est peint avec une palette de couleurs douces et discrètes.
Ce choix artistique met l'accent sur la figure principale du chancelier Rolin et de la Vierge, les plaçant au centre de l'attention du spectateur.
Malgré son apparente discrétion, le paysage contribue à créer une atmosphère spirituelle et à situer la scène dans un contexte terrestre.
Le jardin en arrière-plan est un jardin imaginaire apparaissant au travers de colonnes au chapiteau de style roman côtoyant un pavement en marbre précieux : nous sommes donc dans un espace dédié à recevoir cette rencontre entre le chancelier Rolin et la Sainte Vierge.
Le jardin clos est une iconographie classique liée à la Vierge, image de la vertu.
Mais ici d’autres éléments demeurent plus inhabituels dans ce jardin où s’invitent lapins, pies et paons.
J’y verrai donc un lien entre terre et ciel, symbolisé par les personnages du chancelier et de la Vierge, où le spectateur est invité à voir et entrevoir par le biais de deux petits personnages qui guident notre regard : Amener à voir ce qui ne peut être vu .
Il faut au passage noter le talent de miniaturiste de Jan Van Eyck visible dans les Heures de Turin Milau qui met en lumière une autre caractéristique de l’époque : la porosité entre la peintre sur bois et sur parchemin, deux techniques concomitantes dans les ateliers de l’époque.
De même la précision à une échelle miniature des fleurs et petits animaux rappellent les objets d’orfèvrerie du début du XV collectionnés dans les cours françaises et bourguignonnes. La couronne de la Vierge se rapproche d’ailleurs de la magnificence de l’art d’un orfèvre.
Comment cette œuvre dialogue-t-elle avec d'autres formes artistiques de l'époque, comme l'enluminure et les bas-reliefs funéraires ?
Cette œuvre dialogue avec d'autres formes artistiques de l'époque, telles que l'enluminure et les bas-reliefs funéraires, en reprenant certains motifs et techniques caractéristiques de ces médiums. Par exemple, la précision des détails et la richesse des couleurs rappellent l'enluminure, tandis que la composition complexe et les figures sculpturales évoquent les bas-reliefs funéraires.
Comment les artistes du 15e siècle ont-ils interprété cette œuvre ?
Les artistes du XVe siècle ont interprété cette œuvre comme une représentation de la dévotion religieuse et du pouvoir politique, mettant en valeur le rôle central de la Vierge Marie dans la vie spirituelle des croyants et la position sociale des commanditaires de l'œuvre. Elle était également perçue comme une manifestation de la virtuosité technique de Van Eyck et de sa capacité à créer des œuvres d'une profondeur symbolique et émotionnelle remarquable.
Mais aujourd’hui, comment percevoir cette peinture en la resituant avec d’autres tableaux de Van Eyck et d’autres œuvres de ses contemporains ?
C’est bien là l’enjeu de cette exposition
L’exposition
L'exposition présente dans cette optique d'autres œuvres de Van Eyck ainsi que celles de ses contemporains tels que Rogier Van der Weyden et Robert Campin, réunissant une soixantaine de panneaux peints, manuscrits, dessins, bas-reliefs sculptés et objets orfévrés provenant de divers musées et institutions en France et à l'étranger, offrant ainsi une exploration approfondie de cette période artistique fascinante.
Aujourd'hui, la Vierge du Chancelier Rollin de Jan van Eyck est largement reconnue comme l'une de ses œuvres les plus emblématiques, démontrant son génie artistique et son influence durable sur l'art européen.
Par rapport à ses autres tableaux et aux œuvres de ses contemporains, cette peinture se distingue par plusieurs aspects :
La précision des détails, l'utilisation de la peinture à l'huile et la richesse des couleurs démontrent la maîtrise technique exceptionnelle de Van Eyck. Cette œuvre, comme d'autres de ses tableaux, est souvent étudiée pour sa technique picturale innovante et sa capacité à créer une illusion de réalité saisissante.
Observez le détail des étoffes, le réalisme du visage : cerne, froncement des sourcils et du front, les plis du cou, les points de barbe. Même aujourd’hui, le Chancelier est présent, en mouvement.
Il partage avec les peintres de son époque Robert Campin (1375-1444) ou Rogier Van der Weyden (1399-1464) le souci de rendre sensible la personnalité des individus.
La Vierge du Chancelier Rollin témoigne de l'importance du symbolisme religieux et politique dans l'art de la Renaissance. Van Eyck réussit à intégrer ces deux aspects de manière harmonieuse, soulignant à la fois la dévotion religieuse du chancelier Rolin et son pouvoir politique en tant que figure influente de son époque.
Comme beaucoup d'œuvres de Van Eyck, cette peinture explore la relation entre le divin et le terrestre, mettant en scène des figures sacrées dans un contexte réaliste. Cette approche contribue à créer une expérience visuelle et émotionnelle profonde pour le spectateur.
Comparativement aux œuvres de ses contemporains, la Vierge du Chancelier Rolin se distingue par sa complexité compositionnelle, son souci du détail et sa profondeur symbolique et dévoile sa singularité autant que son inscription dans son temps.
Elle témoigne de l'influence de Van Eyck sur la peinture de son époque et sur les générations d'artistes qui ont suivi, influençant ainsi le développement de l'art européen. De nos jours, cette œuvre continue d'être étudiée, admirée et célébrée pour sa beauté intemporelle et sa signification historique.
Alors si je devais vous donner mon avis sur cette exposition.
Mon avis sur l’exposition
L'exposition offre une opportunité rare de découvrir un ensemble impressionnant d'œuvres de Jan van Eyck, comprenant six pièces, dont La Vierge de Lucques prêtée pour la première fois par le Städel Museum de Francfort. En mettant en relation ces cinq autres œuvres de Van Eyck avec celles de ses contemporains tels que Rogier van der Weyden, Robert Campin et Hieronymus Bosch, l'exposition promet une exploration enrichissante et approfondie de l'art flamand du 15e siècle.
En rassemblant une soixantaine d'objets comprenant des panneaux peints, des manuscrits, des dessins, des bas-reliefs sculptés et des objets orfévrés, l'exposition bénéficie du soutien de nombreux musées et institutions en France et à l'étranger, ce qui renforce son importance et son attrait pour les amateurs d'art et les chercheurs
Il y a beaucoup de monde : je vous invite avant de tenter de regarder et de vous frayer un chemin entre les téléphones portables en action pour capter un détail de la Vierge du Chancelier Rolin – de faire le tour de l’exposition.
Vous y verrez de pures merveilles et ceci vous permettra d’appréhender les différences stylistiques de l’époque et de comprendre le tableau star de cette exposition.
Mon coup de cœur va – en marge de VanEyck – à cette Nativité par le peintre du groupe Flémalle.
Le terme « groupe flemalle » désigne les peintres issus de l’atelier de Campin qui partagent les modèles et des techniques entre eux, si bien qu’il est difficile de les distinguer. A l’instar de celui de Van Eyck, vous pourrez vous amuser à passer du temps à contempler la marine ici ou une scène de la vie quotidienne dans un sujet on ne peut plus sérieux que la Nativité.
Réservation impérative pour cette exposition qui attire beaucoup de monde, mais sincèrement même si vous attendez un peu, cela en vaut vraiment la peine
A bientôt sur expertisez pour de nouvelles visites de musées et d’expositions.
Elodie Couturier