L'âme de Jean Cocteau au coeur de la Côte d'Azur

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Jean Cocteau a régné cinquante ans sur Paris, mais portait la Côte d'Azur gravée sur sa paume. C'est là que rôde encore l'esprit de ce grand écrivain, artiste total et visionnaire.

Citrons, fleurs à parfums, petits ports solitaires lançant leur aigre carillon sur la mer violette... Une carte postale où "tout est blond, de lumière et de miel" (Jean Marais), et respire douceur et gaieté. C'était le temps d'avant les autoroutes et le béton. Chaque été, l'intelligentsia parisienne enjambait la France à bord du Train bleu ou de bolides fuselés fonçant à 60 kilomètres à l'heure pour ensoleiller ses mondanités dans un archipel de villas somptueuses. 

Parmi ceux qui "inventèrent" la Côte d'Azur, le banlieusard Jean Cocteau se revendiquait méditerranéen. Depuis l'âge de 20 ans, l'auteur du Sang d'un poète a fréquenté presque chaque année l'Arc bleu, y fécondant une part de son oeuvre écrite, plastique et filmée. On le suit à Sète, Montpellier, Aix, Marseille et les Baux-de-Provence, Saint-Tropez, à la villa Noailles (Hyères), à la Villa Blanche aux portes de Toulon, sans oublier ce grand port de guerre, paradis des Parisiens dissipés, où fleurissaient alors les bordels des deux sexes et les fumeries dédiées à la fée noire, rapportée d'Indochine par des capitaines opiomanes. 

Jean Cocteau a laissé des traces éclatantes dans les Alpes-Maritimes. Il a même donné son nom à un petit circuit où manquent Monaco -il y séjourna du temps des Ballets russes-, la villa de Chanel (La Pausa) à Roquebrune, le Centre méditerranéen du Cap-d'Ail, décoré par ses soins... Mais le peu qui reste offre un captivant voyage à travers le temps. Celui-ci commence aux portes de Nice, dans ce petit port de Villefranche-sur-Mer où mouillaient jadis les grands bateaux de guerre. 

"Avec ses plages de galets, ses rues étroites et ses toits vermillon, la ville s'élève sur des pentes couvertes d'oliveraies et de villas. La végétation est tropicale, embaumée par les orangers en fleur": c'était en 1925. Cocteau y écrivait "au soleil, sur un balcon entouré de mer et de cigales", en tête à tête avec la Méditerranée, "son cobalt, ses saphirs, ses turquoises". Ce lieu existe encore: c'est la chambre 23 de l'hôtel Welcome (Cocteau y disposait d'une autre, la 22, sans aucune trace d'opium, qu'on exhibait aux policiers trop curieux). 

Jean Coteau, artiste visionnaire 

Ravagé par la mort de Radiguet, il était venu là cuver sa peine. Peu soucieux d'être seul, ce perpétuel anxieux rendait visite en voisin à Chanel, à Stravinsky, à Picabia... Il invitait à tour de bras: "Bébé" Bérard, peintre génial au look de gros travesti sautillant ; le beau Jean Bourgoint, qui inspira Les Enfants terribles ; Max Jacob, Joseph Kessel... et toute une jeunesse fascinée par son monologue où venaient de si belles images, par sa gestuelle soignée. Maurice Sachs disait : "Il n'a rien écrit qui vaille une demi-heure de sa conversation." Dans les années 1920, ce causeur étincelant, chef de la coterie qui règne sur Paris, fait de Villefranche le centre du monde. 

Aujourd'hui coquet quatre-étoiles familial, cet hôtel du port disposait alors d'un bar où les marins faisaient des noubas d'enfer- beuveries, stupre, bagarres... L'arrivée de Kiki de Montparnasse, prostituée mariée à Man Ray, mit le feu aux poudres. Cocteau n'y écrivit pas moins Orphée, Oedipe roi, Le Cap de Bonne-Espérance, tout en téléguidant sa carrière parisienne. 

Langue de végétation où pointent les cyprès des villas somptueuses (Kérylos, Ephrussi...), la presqu'île du cap Ferrat barre la baie de Villefranche. C'est un autre Cocteau qui s'y présente, en 1950. L'homme qui avait tué le XIXe siècle avec Parade et incarna longtemps la modernité voit celle-ci lui échapper: l'époque est aux surréalistes (ses vieux ennemis), aux sartriens... Une autre vie s'amorce pour ce dilettante accablé de dons qui, sans cesser d'être prosateur, poète et dramaturge, fait résonner toutes les cordes de sa lyre... A l'invitation de Francine Weisweiller, jeune et jolie cousine des Rothschild, le sexagénaire désargenté ("Mes oeuvres ont été traduites en tchèque, riait-il, je les aurais préférées converties en chèques") emménage à la villa Santo Sospir. 

Dans le jardin, on lui arrange un atelier, qui sert aussi aux rites de l'opium, en communion avec Edouard Dermit, son amant platonique, et la maîtresse des lieux. "Un simple détail", selon Carole Weisweiller, la fille de celle-ci, pour qui Jean Cocteau fut un second père. On l'approuve en découvrant les incroyables fresques apposées par Cocteau sur les murs, les plafonds, jusqu'aux portes et aux fonds de placards...

 

A tempera, comme au temps de Giotto, elles époustouflent par la justesse du trait, sa fraîcheur, sa fluidité presque vivante. Une grâce mystérieuse émane de ces êtres mythologiques -nymphes, centaures...-, où l'homosexualité perce sous le décorum antique (pêcheurs aux fesses pointues). Dans cet ermitage décoré par Madeleine Castaing- tapis léopard, fabuleux mobilier javanais en osier...-, l'académicien vécut treize ans en peignoir blanc, cravaté d'une écharpe jaune, rédigeant livres et lettres dans la véranda en canisses, devant cette mer qui le mettait en communion avec la Grèce. Quand il n'y recevait pas Jean Marais, cet esprit curieux discutait de tout: le jazz, qu'il adorait, les extraterrestres... Baptisé Orphée II, un rutilant yacht de poche l'emmenait à Monaco, à Antibes - où vivait Picasso - voire jusqu'à Cannes, dont il présida le premier Festival. Durant la traversée, il écrivait et dessinait sans cesse, comme à son habitude. Bacchus, Requiem, plusieurs textes ambitieux sont nés à la "villa du Saint Soupir". 

En marinière à Saint-Tropez, en frac à Monaco, le charmant vieux monsieur aux yeux laser est une célébrité qu'on aborde, car il aime être aimé. Il a lancé Raymond Radiguet, Edith Piaf, Jean Genêt, Jean Marais... Il aide Lucien Clergue, François Truffaut... Quand il trône avec le dieu de Vallauris -Picasso-, le public se sent vivre un moment historique. Sur la lancée de Santo Sospir, Cocteau -qui tâte déjà de la céramique, à l'exemple du peintre- part tatouer d'autres lieux. 

 

La chapelle Saint-Pierre, en face de l'hôtel Welcome, l'obsède depuis trente ans. Après négociation avec les pêcheurs -elle leur servait de remise à filets-, il met trois ans à la couvrir de fresques, en projetant ses dessins sur les murs, ajoutant un jour un coq, un autre, un visage. Rien de plus gracieux que cet entrelacs de lignes à peine coloriées, qui dessinent une cosmogonie douce et tonique. A l'appel du maire, il repeint aussi la salle des mariages de Menton avec ses habituelles figures, inspirées par la Grèce et le Sud, qu'il décline en pastels clairs: pêcheurs à bonnets, porteuses de cruches, étoiles de mer... En guise d'ombres, un labyrinthe de lignes fait vibrer les corps. Il décore aussi de mosaïques le Bastion, un fortin sur le port, où l'on admire désormais ses céramiques. 

Reconnaissante, la ville des citrons -Menton- lui a bâti l'an dernier un musée à son nom. Ellipse de béton blanc juchée sur une danse de colonnes, ce bâtiment-objet signé Rudy Ricciotti obéit à l'idée d'un Cocteau sinueux. Il abrite la plus riche collection d'objets dédiés à l'écrivain, réunis par Severin Wunderman (aujourd'hui décédé) et enrichie par des photos de Lucien Clergue. On craque devant la modernité des "Eugène", les dessins cubistes de jeunesse, ses caricatures d'amis, les pastels de Bérard... Rapidité du trait, ellipses, fulgurances... le "Prince frivole" est clairement notre contemporain. Reste que dans le Sud, on célèbre avant tout ses films et ses dessins. Ce dilettante surdoué, que Warhol admirait, y passe presque pour l'aïeul de l'art multimédia. Qu'en aurait pensé l'académicien amoureux de Racine, lui qui ambitionnait pour ses écrits le statut de classiques? 

 

Source

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