La naissance de l'impressionnisme
Une exposition , une révolution : la naissance de l'impressionnisme en 1874
Je vous emmène aujourd’hui à l’exposition : « Paris, 1874, Inventer l’impressionnisme » qui se tient jusqu’au 14 juillet prochain au Musée d’Orsay à Paris.
Il était tout à fait logique que cette exposition se tienne dans ce musée consacré principalement au XIXème et à l’art moderne.
Rappelons que ce musée, inauguré en 1986, fut à l’origine la gare d’Orsay mais servit également de décor à plusieurs films (dont Le Procès de Kafka adapté par Orson Welles), de lieu de représentation pour la compagnie de théâtre Renaud Barrault puis pour notre profession de commissaires-priseurs, pendant la reconstruction de l'Hôtel Drouot.
Il s’agit donc d’une exposition proposée par le musée à l’occasion des 150 ans de la première exposition impressionniste, rappelant les circonstances de cet évènement majeur tout en exposant les styles picturaux de l’époque
Alors avant de vous donner mon avis sur l’exposition, je reviendrai sur l’origine de l’impressionnisme et tenterais de vous faire comprendre en quoi l’impressionnisme a littéralement ouvert toutes les voies de l’art moderne et contemporain.
L’impressionnisme le contexte
L'impressionnisme est somme toute un mouvement artistique révolutionnaire qui a émergé en France dans les années 1870, bouleversant les conventions artistiques de l'époque.
Ce mouvement trouve ses racines dans une réaction contre les rigidités académiques et les normes artistiques établies, en particulier celles du Salon de Paris, l'exposition officielle de l'Académie des Beaux-Arts.
Pour comprendre les origines de l'impressionnisme et ce qui a poussé ses instigateurs à organiser la fameuse exposition du 16 avril 1874, il est essentiel de plonger dans le contexte artistique et social de l'époque.
Rappelons avant tout cela, que Paris vit au printemps 1874 dans le souvenir de la guerre franco-allemande de 1870 et que la capitale en tant que telle en a souffert.
D’ailleurs les œuvres qui passionnent alors le public sont les scènes de la dernière guerre, dont la France est sortie perdante face à la Prusse.
Dès 1871, la reconstruction commence avec toutes les transformations entamées sous le second empire sous l’égide du baron Haussmann avec le percement des grands axes parisiens, les gares, les espaces vert et l’opéra Garnier. C’est dans ce quartier que se tient la première exposition impressionniste
Le Salon de Paris, créé en 1667, était l'exposition d'art la plus prestigieuse en France, un véritable bastion de tradition .
Il représente l'avant-garde officielle de l'art académique, dictant les goûts et les tendances artistiques. Cependant, au XIXe siècle, le Salon devint de plus en plus conservateur, favorisant les œuvres historiques, mythologiques et religieuses, et marginalisant les approches plus modernes et innovantes. Les artistes qui ne se conforment pas aux standards stricts du Salon se voient souvent refuser l'exposition de leurs œuvres, ce qui limitent considérablement leur visibilité et leur succès.
Le 1er mai 1874 au Palais de l’Industrie avenue des Champs Elysées, le salon officiel exposant la production artistique du moment en est toujours le parfait symbole : Les artistes sont soigneusement sélectionnés par un jury sous l’égide de la Direction des Beaux-Arts et qui tient entre ses mains la carrière des artistes.
De grands tableaux historiques, religieux ou mythologiques, des scènes anecdotiques, des orientalistes, bref rien à voir avec les tableaux des futurs impressionnistes ou de tout avant-gardisme, exposés boulevard des Capucines non loin de là.
Un tableau de Camille Cabaillot Lassalle exposé ici, en est d’ailleurs un parfait témoin, représentant d’élégants visiteurs avec en réduction des œuvres d’Eugène Petit, Veyrassat, ou encore Corot.
Face à cette rigidité, dans les années 1860, un groupe d'artistes, dont Claude Monet, Edgar Degas, Pierre-Auguste Renoir, Camille Pissarro et Alfred Sisley, commençant à ressentir une profonde insatisfaction face à cette situation.
Ils recherchent alors de nouvelles façons de représenter la réalité, mettant l'accent sur les effets de la lumière, les couleurs vives et les scènes de la vie quotidienne. Leur style, radicalement différent de celui promu par le Salon, ne trouve cependant pas sa place dans les expositions officielles. L'insatisfaction grandit alors parmi ces artistes avant-gardistes, qui désire un renouveau artistique et une plus grande ouverture à la créativité et à l'innovation.
Ils prennent alors leur destin en main en créant leur propre révolution artistique.
En 1874, face à l'exclusion répétée de leurs œuvres par le Salon, ces artistes décident donc de prendre les choses en main. Ils forment la "Société anonyme des artistes peintres, sculpteurs et graveurs" et organisent leur propre exposition dans le studio du photographe Nadar, situé au 35 boulevard des Capucines à Paris. Cette exposition, qui ouvre ses portes le 15 avril 1874, rassemble des œuvres de trente artistes, dont Monet, Degas, Renoir, Pissarro, Sisley et Cézanne, sans oublier Berthe Morisot, ayant tous payé leur cotisation, d’âges et d’horizons divers. Près de 40 ans séparent le doyen Adolphe Felix Cals du cadet Léon Paul Robert. Politiquement les écarts sont grands : d’un côté les bourgeois représentés par Edgar Degas ou Berthe Morisot, de l’autre les anarchistes Pissarro ou les communards Ottin et Meyer.
Mais une même ligne les rallie tous : des tableaux clairs, lumineux, une touche rapide, enlevée à l’image de leurs ressentis devant le motif et bien entendu une même volonté d’exposer librement leur travail
Parmi les œuvres exposées se trouve "Impression, soleil levant" de Claude Monet, une peinture qui allait donner son nom au mouvement impressionniste. Seule une poignée de peintures de Sisley, Monet Renoir et Cézanne trouvent preneur.
Les critiques sont souvent acerbes, qualifiant les œuvres de "peintures inachevées" ou de "simples esquisses".
Cependant, cette exposition marque bien le début d'une nouvelle ère pour l'art, en offrant une plateforme aux artistes rejetés par le Salon et en proposant au public une vision novatrice de la peinture.
L'impressionnisme ouvre la voie à de nombreux courants artistiques du XXe siècle, notamment le post-impressionnisme, le fauvisme, et le cubisme. En rejetant les conventions académiques et en explorant des techniques nouvelles, les impressionnistes libérèrent les artistes des contraintes traditionnelles, leur permettant d'explorer des styles et des concepts inédits.
L'approche impressionniste, avec son accent sur la perception subjective et la capture des moments éphémères, inspira des générations d'artistes à expérimenter avec la couleur, la lumière, et la composition. Elle encouragea également l'exploration de thèmes modernes et de la vie quotidienne, élargissant ainsi le champ des sujets artistiques. L'influence de l'impressionnisme se ressent encore aujourd'hui dans l'art contemporain, où l'innovation et l'expérimentation sont devenues des valeurs clés.
L'impressionnisme, né d'une révolte contre l'académisme et les rigidités du Salon de Paris, a transformé le paysage artistique de manière radicale. En organisant leur propre exposition en 1874, les impressionnistes ont non seulement trouvé un moyen de contourner les obstacles institutionnels, mais ont aussi pavé la voie à une nouvelle ère d'exploration artistique. Leur héritage perdure, continuant d'inspirer et de guider les artistes modernes et contemporains dans leur quête de renouvellement et de liberté créative.
L’exposition
Vous connaîtrez probablement beaucoup de tableaux, mais quel bonheur de les voir ainsi réunis tous ensemble.
Tous les tableaux sont des beaux tableaux et méritent chacun d’être regardé avec attentioN
Au-delà de l’aspect artistique, ces tableaux sont également des témoins de cette reconstruction de Paris.
Vous serez comme l’homme en haut de forme située à droite, en observant le boulevard des Capucines peint par Claude Monet en 1873-74, depuis un balcon du 35, adresser de l’exposition impressionniste véritable témoin de la ville moderne, de ce quartier de l’Opéra bouillonnant de vie.
Observez cette Parisienne peint par Auguste Renoir en 1874, qui souligne l’élégance en rapport avec le développement de la mode et des grands magasins de l’époque.
Outre les grands noms Degas, Manet, Monet, n’oubliez pas de vous attardee sur les tableaux de Stanislas Lépine ou Giuseppe de Nittis et ses paysages d’Italie
Des séries entières consacrées à Pissarro Degas ou Berthe Morisot.
Il est essentiel de savoir que Berthe Morisot a joué un rôle crucial au sein du mouvement impressionniste, non seulement par ses contributions artistiques mais aussi par sa position en tant que femme dans un domaine dominé par les hommes. Sa carrière et son influence méritent une attention particulière pour comprendre pleinement l'impact des impressionnistes.
Cela n’est pas suffisamment mis en avant, alors permettez-moi cette incursion.
Née en 1841 dans une famille bourgeoise cultivée, Berthe Morisot a bénéficié d'une éducation artistique dès son plus jeune âge. Elle a étudié sous la direction de maîtres comme Jean-Baptiste Camille Corot, qui l'a encouragée à peindre en plein air, une pratique qui allait devenir centrale pour les impressionnistes.
Berthe Morisot a été introduite au cercle impressionniste grâce à son amitié avec Édouard Manet, dont elle deviendrait également la belle-sœur en épousant son frère, Eugène Manet. Elle a rapidement gagné le respect et l'admiration de ses collègues masculins, notamment Claude Monet, Edgar Degas et Pierre-Auguste Renoir. Sa présence au sein du groupe était essentielle, car elle apportait une perspective unique et contribuait à diversifier les sujets et les techniques explorés par les impressionnistes.
Les œuvres de Berthe Morisot se distinguent par leur sensibilité et leur délicatesse, comme vous pouvez le voir ici. Son approche de la lumière et de la couleur était alors novatrice, et elle utilisait des touches légères et fluides qui captaient l'éphémère et le fugace, caractéristiques fondamentales de l'impressionnisme.
Il faut savoir que Berthe Morisot a été l'une des seules femmes à participer régulièrement aux expositions impressionnistes, dès la première en 1874. Elle a exposé aux côtés de ses homologues masculins, contribuant à légitimer le mouvement impressionniste et à le promouvoir auprès du public et des critiques.
En tant que femme ayant réussi à s'imposer dans un milieu artistique dominé par les hommes, Berthe Morisot a ouvert la voie à de nombreuses artistes féminines. Son succès a montré qu'il était possible pour les femmes de non seulement participer à des mouvements artistiques avant-gardistes mais aussi d'y jouer un rôle de premier plan.
Les œuvres de Morisot ont laissé une empreinte durable sur l'art impressionniste. Sa capacité à capturer des moments de la vie quotidienne avec une sensibilité particulière a enrichi le répertoire impressionniste et a influencé les générations d'artistes suivantes. Son exploration de thèmes féminins et domestiques a également élargi les horizons du mouvement, intégrant des perspectives souvent négligées dans l'art de l'époque.
L’exposition montre également les tableaux présentés dans le cadre du salon officiel de 1874 et une section est consacrée aux tableaux refusés, comme ce Bal de l’Opéra par Edouard Manet, qui montre dans le cadre du foyer de l’Opéra les transactions entre prostituées et clients. Le refus de ca tableau provoquera l’ire de Mallarmé qui publie un article dénonçant ce jury qui décide ce qui est un tableau ou non .
Il ne faut pas non plus croire pour autant que tout était cloisonné. Il faut toujours se remettre dans le contexte du moment
La modernité s’installe partout dans les esprits et même le salon rigoriste de 1874 montre des œuvres modernes exposant « Le Chemin de fer » de Manet qui refusera d’ailleurs l’invitation du groupe impressionniste à exposer au 35 boulevard des Capucines, ne souhaitant pas s’abstraire du salon qui est à l’époque rappelons le la seule manière de mener au succès. Ce tableau très moderne, aux couleurs claires, dans ombres, ni demi tons, au cadre resséré détonnera, exposé à côté d’une composition mythologique.
Il n’est donc pas seulement question de modernité chez les impressionnistes.
Contrairement au salon officiel, les impressionnistes sont des hommes et des femmes de leur temps certes, mais offrent cette vision du présent dans l’instantanéité de la touche dans leur manière de peindre.
Le critique Ernest Chesneau les rassemble sous la bannière de l’Ecole du Plein Air, mais ce n’est pas le grand air qui leur fond changer la vision des choses, car après tout, la peinture sur le motif existe depuis la fin du XVIII.
Les impressionnistes innovent, tous leurs tableaux ne sont pas intégralement exécutés en extérieur, mais l’extérieur fait partie du processus intrinsèque de l’œuvre non pas comme une esquisse.
C’est la naissance de véritables chef d’œuvres que vous aurez la chance de voir dans cette exposition dont Impression Soleil Levant daté de 1872 exposé régulièrement au Musée Marmottan à Paris : un traitement japonisant dans l’orangé éclatant du soleil de ce paysage quasi abstrait où grues ou cheminées se fondent dans la poésie de cet instant.
Vous verrez qu’à la suite de cette grande première exposition d’autres suivront de 1874 à 1876, dont la troisième que se tient le 4 avril 1877 dans un appartement du 6 rue Le Peletier où 245 œuvres et 18 artistes sont exposées dont Berthe Morisot , tous se proclamant impressionnistes.
C’est là que la Gare Saint Lazare de Monet est exposée : la répétition d’un motif jugé indigne de la grande peinture marque une rupture et une ouverture à l’art moderne et contemporain : le sujet n’est pas le centre de la démarche du peintre.
Monet amorce alors ce qu’il appellera les séries, des groupes de toiles conçues comme un tout, centrées sur le même motif (meules ou cathédrales, peu importe finalement), variant selon la lumière et les saisons.
Mon avis sur l’exposition
Cette exposition est magistrale tant du point de vue de la qualité que de l’agencement qui restitue bien l’ambiance des salons de l’époque
Il est vrai que je critique souvent les salles d’expositions du musée d’Orsay, mais cette fois ci le musée a vu grand et a pris la place qu’il fallait.
L’exposition est didactique, claire.
Malheureusement le succès est au rendez-vous et le monde étouffe les tableaux.
Inutile de venir en le jeudi soir pendant la nocturne, c’est archi plein et c’est en plus encombré par les groupes, courage , fuyons !
Privilégiez le matin à l’ouverture, où vous pourrez encore avoir le temps de prendre le temps de regarder les tableaux.
Déambulez, regardez, revenez sous vos pas, cette exposition est magistrale !
A la sortie de cette exposition, vous pourrez voyager au travers du temps grâce à la réalité virtuelle et partagerez « un soir avec les Impressionnismes », un voyage étonnant d’environ une heure entre le quartier de l’Opéra, les grands boulevards et les bords de la Marne.
Une immersion dans l’exposition : le 15 avril 1874, huit heures du soir dans l’ancien atelier du photographe Nadar qui accueillit alors la sélection de 165 œuvres des Impressionnistes
Une production Excurio Gedeon sous la direction scientifique du musée d’Orsay qui permet de vivre une reconstitution fidèle
Une réalisation très réussie, qui aurait peut-être eu le mérite d’être un peu plus courte.
Alors dépéchez-vous de prendre votre billet pour vous embarquer dans le monde des impressionnistes.
A bientôt sur Expertisez pour de nouvelles visites de musées et d’expositions.
Elodie Couturier