Léonce Rosenberg : un appartement dédié à l'art
Léonce Rosenberg au musée Picasso : un éclectisme d'art contemporain
Je vous emmène aujourd’hui au Musée Picasso dans le bel écrin de l’hôtel Salé, nous allons explorer une intéressante exposition au cœur du Musée Picasso, présentée du 30 janvier au 19 mai 2024. Cette exposition est intitulée : "Dans l'appartement de Léonce Rosenberg: De Chirico, Ernst, Léger, Picabia...".
Alors vous ne connaissez peut-être pas Léonce Rosenberg, marchand d'art et mécène parisien, qui aura laissé une empreinte indélébile sur le monde artistique du XXe siècle
L’exposition reconstitue son appartement, transformé en galerie d'art, témoignant de sa passion pour le cubisme et la peinture abstraite. Mais nous le verrons, cet appartement laisse une empreinte bien au-delà de cela : celle d’un homme amoureux de son époque si créatrice.
Avant de vous faire découvrir l’exposition, penchons-nous tout d’abord sur cette personnalité incontournable de l’histoire et du marché de l’art qu’est Léonce Rosenberg.
Léonce Rosenberg
Léonce Rosenberg (1879-1947) était un marchand d'art et mécène parisien, connu pour son rôle essentiel dans la promotion du cubisme et de la peinture abstraite au début du XXe siècle.
Son influence et son engagement envers l'avant-garde artistique ont laissé une marque indélébile dans l'histoire de l'art.
Sa Galerie "L'Effort Moderne" :
En 1918, Léonce Rosenberg ouvre la galerie "L'Effort Moderne", devenant rapidement un lieu incontournable pour les artistes émergents. Il y promeut activement le cubisme et la peinture abstraite, rassemblant des figures majeures de l'Entre-deux-guerres, notamment Pablo Picasso, Georges Braque, Fernand Léger, Juan Gris, Jean Metzinger, Francis Picabia, et bien d'autres encore.
Promotion du Cubisme :
Convaincu que le cubisme représentait l'expression la plus moderne de son époque, Rosenberg devient un fervent promoteur de ce mouvement. Il joue un rôle central dans la reconnaissance et le soutien de ces artistes, contribuant ainsi à définir le cubisme comme une marque de fabrique de l'art moderne.
Impacts sur les Artistes :
Rosenberg n'était pas seulement un marchand, mais aussi un soutien déterminant pour les artistes. Il a contribué à façonner la carrière de nombreux talents émergents en faisant d'eux les figures centrales de l'effervescence artistique de l'époque.
Sophie Biass Fabiani dans "L'Effort Moderne : Léonce Rosenberg et les arts" explique bien le rôle de Rosenberg dans la promotion des arts modernes
D’autres ouvrages que je peux vous recommander également. "Léonce Rosenberg, marchand d'art et mécène" par Giovanni Casini ou "Léonce Rosenberg et l'Effort Moderne" par Fabien Hurelle : le premier serait une biographie approfondie qui explore les multiples facettes de la vie de Rosenberg et son impact sur le monde artistique, tandis que l’autre est une exploration approfondie de la vie et de l'influence de Rosenberg dans le contexte de sa galerie.
Frère aîné de Paul, brillant marchand d'art qui a fui aux États-Unis en 1940 pour échapper aux nazis, et grand-père de la journaliste Anne Sinclair, Léonce Rosenberg reste moins connu que son frère, l'un des découvreurs de Picasso, Matisse et Braque
L'Appartement de Léonce Rosenberg :
Son appartement, aménagé entre 1928 et 1929 dans le XVIe arrondissement de Paris, devient un lieu emblématique. Chaque pièce est dédiée à un artiste différent, associant les toiles peintes à une sélection de mobilier ancien et moderne. Cette démarche unique témoigne de son engagement passionné envers l'art et de sa vision audacieuse des arts décoratifs.
Le Défi de la Reconstitution :
Après la crise financière de 1929/1930, la ruine de Léonce Rosenberg conduit à la vente de l'appartement et à la dispersion de ses œuvres. La reconstitution de cet espace, aujourd'hui disparu, est un défi relevé par le Musée Picasso à Paris pour l'exposition "Dans l'appartement de Léonce Rosenberg".
La contribution de Léonce Rosenberg à la scène artistique du début du XXe siècle reste un chapitre significatif dans l'histoire de l'art moderne, et son influence continue d'inspirer les amateurs d'art et les chercheurs.
Découvrons ensemble comment son appartement, transformé en galerie d'art, témoigne de sa passion pour le cubisme et la peinture abstraite, en explorant les points forts de cette exposition.
L’exposition
La première salle vous donne le la, en vous plantant le décor : un appartement de 360m2 à Paris, dont Léonce Rosenberg créé dans un espace unique au 75 rue Longchamp à Paris.
Le plan présente une distribution en deux parties : les pièces intimes et les pièces de réception.
En 1929, Léonce Rosenberg réalise ce projet audacieux en aménageant son appartement regroupant une douzaine d'artistes. Ce lieu singulier devient alors le témoin d'une période ambivalente de la fin des années 1920, oscillant entre la survivance du cubisme, le retour à des pratiques inspirées de la tradition et l'émergence du surréalisme.
Comme cela est annoncé dans la presse, il s’agit bien d’un lieu de vie transformé en galerie d'art.
Mais il faut bien comprendre qu’il s’agissait de son lieu de vie et qui dit espace de vie, j’entends un lieu où la famille de Rosenberg vivait : sa femme Marguerite et ses trois filles Jacqueline, Lucienne et Madelaine
Ainsi cette exposition recrée l'ambiance de cet appartement, réunissant des œuvres exceptionnelles mélangé à un mobilier ancien et moderne. Une rare occasion de voir comment l'art et la décoration fusionnent pour créer un environnement inspirant.
L'exposition détaille, à travers six sections, l'histoire des onze pièces de cet appartement, conçu avec soin par Rosenberg pour loger sa famille. Il adopte le principe novateur d'attribuer chaque pièce à un artiste spécifique, associant astucieusement toiles peintes et choix de mobilier ancien et contemporain.
Convaincu que le cubisme demeure l'expression la plus moderne de l'art même après la guerre, Léonce Rosenberg s'efforce de le faire perdurer comme une marque de fabrique. Il s'implique activement dans la promotion d'artistes, considérant sa galerie comme un chef de file du mouvement. Le décor de sa salle à manger illustre cet engagement, avec la collaboration de Georges Valmier, Joseph Csaky, et René Herbst, créant un ensemble harmonieux s'intégrant parfaitement à l'intérieur opulent du collectionneur.
L'exposition met également en lumière des œuvres novatrices, comme les abstractions d'Auguste Herbin pour le fumoir et les harmonies colorées d'Albert Gleizes pour la chambre de Jacqueline, transcendant les canons du cubisme d'avant-guerre.
Sensible aux emprunts de Picasso à l'art ancien, Léonce Rosenberg dévoile deux ensembles décoratifs exceptionnels dans son appartement : le cycle des "Gladiateurs" de Giorgio de Chirico pour le hall de réception et celui des "Transparences" de Francis Picabia pour la chambre de Madame Rosenberg. Ces créations, oscillant entre citation et détournement, incarnent un retour à la tradition classique dans un contexte d'humour et de parodie.
Il faut bien comprendre que ce mélange des genres fait écho au choix d’un mobilier d’époques différente : une juxtaposition de styles qui préfigure une approche post-moderne de l’art.
Un coup de cœur pour la salle à manger : des peintures de Georges Valmier, alliées au sculptures de Joseph Czaky et au designer René Herbst qui prône alors l'industrialisation du mobilier avec l'utilisation du métal, notamment le tube nickelé, du verre et du caoutchouc.
Un ensemble finement pensé qui est une pure réussite.
Malheureusement, la crise financière de 1929/1930 précipite la ruine de Léonce Rosenberg, entraînant la vente de l'appartement et la dispersion définitive de ce décor exceptionnel. L'exposition, à travers une scénographie évocatrice, réunit pour la première fois une quarantaine de ces œuvres, racontant l'histoire de cet appartement unique grâce à une documentation riche, comprenant des revues d'époque, des extraits de correspondance avec les artistes, des plans de l'appartement et des photographies.
Mon avis sur l’exposition
Alors si je devais vous donner mon avis sur cette exposition.
Nous sommes ici dans des salles de musées, certes, mais qui , malheureusement ne retranscrivent pas la vie d’un appartement et les motivations de Léonce Rosenberg d’avoir conçu cet appartement familial. Il aurait peut-être été judicieux d’introduire le sujet : qui était Léonce Rosenberg, le contexte artistique, bref une mise en place moins froide que le simple plan de l’appartement.
Le résultat est tout de même assez réussi mais uniquement en tant que témoignage artistique : la présentation est à mon sens trop austère. Les œuvres présentées dans les salles font heureusement écho aux photos d’archives présentées en bandeaux qui nous laissent entrevoir les pièces à l’origine. Mais cela n’est pas suffisant pour insuffler le souffle de la vie.
Oui cela manque de vie : nous ne sommes pas ici dans les mises en scène que proposent le Petit Palais à l’instar de celles proposées dans le cadre des expositions de Walter Sticker, André Devambez ou Sarah Bernhardt.
Ici, il s’agit d’une reconstitution stricto sensu : cette reconstitution d'un lieu aujourd'hui disparu est un défi que s'est lancé le musée Picasso, car il n’y a que peu de traces de ce logement.
Les commissaires cette exposition se sont en effet appuyés sur des photos de l'appartement publiées dans le magazine Vogue. Outre ces clichés, il ne reste aucune archive. Il faut saluer le travail des chercheurs et conservateurs pour récupérer ces œuvres visibles aujourd’hui au musée Picasso.
C'était un peu comme reconstituer un puzzle", rapporte Giovanni Casini, historien de l'art et commissaire invité de l'exposition.
Alors il faudra faire jouer votre imagination.
Prenez le temps de lire les correspondances entre Rosenberg et les artistes sur le projet des pièces.
Vous y découvrirez ainsi la vision avant-gardiste de Rosenberg qui a joué un rôle clé dans la promotion du cubisme et de la peinture abstraite : Picasso, Braque, Léger, et Picabia sont représentés, offrant un aperçu de l'évolution artistique de l'époque.
Un point à ne pas négliger : vous y verrez des œuvres rares et exceptionnelles : des séries rares comme le cycle des "Gladiateurs" de Giorgio de Chirico et les fameuses "Transparences" de Francis Picabia qui consistaient à superposer des images prééxistantes de manière incogrue afin de créer des images doubles, technique qui permet ici d’aborder un cycle décoratif tout à fait originale. Je citerais également les figures de la commedia dell’arte de Gino Severini ou des îles aux jouets oniriques d’Alberto Savinio.
Pour ma part, j’y ai découvert quelques artistes que je ne connaissais pas :
l’artiste Ervand Kotchva., dont une sculpture étonnante est présentée ici.
Une sculpture en métal coloré aux contours sinueux qui invite à la réflexion sur le mouvement. Un mix entre cubisme et futurisme, intéressant.
Cet artiste arménien a découvert le travail de Picasso dans la collection Chtchoukine ; il sera soutenu par Rosenberg à son arrivée à Paris en 1923
Un autre artiste qui m’était inconnu : Manuel Rendon Seminario , un peintre équatorien dont la peinture évoque une approche cosmopolite de l’art contemporain.
Toutes ces œuvres éclectiques en particulier se rassemblent ici dans une universalité de l’art, offrant une fenêtre sur l'esprit créatif de l'époque, jouant entre tradition et modernité.
Cette exposition est somme toute un voyage dans l'histoire de l’art, une exploration de l'histoire et de l'influence d'un homme sur le monde artistique de son temps.
Cette exposition ne vous laissera peut-être pas un souvenir inoubliable, mais vous y passerez un bon moment dans ce lieu toujours aussi exceptionnel
A noter cependant que les collections permanentes ne sont pas accessibles durant l’exposition.
Elodie Couturier - Expertisez