Les Rouart : le virus de la peinture, de père en fils
Dans la famille Rouart, je demande le grand-père, le fils et le petit-fils. Découvrez qui sont ces aristocrates de l’art, dont le destin est intimement lié à l’impressionnisme.
L'histoire des Rouart est un roman au long cours, une saga artistique que l’écrivain Jean-Marie Rouart, représentant de la 4e génération, a raconté dans un livre délicieusement nostalgique paru il y a quinze ans.
L’Académicien faisait alors découvrir, des années après la disparition des protagonistes, le rôle discret de sa famille dans l’histoire de l’art au tournant du XXe siècle. Car ces riches industriels passés de l’autre côté de la toile ne goûtaient pas les mondanités de la Plaine Monceau ou du Trocadéro. Leur seule passion était l’art, ils ne vivaient que pour la peinture.
Les Rouart sont devenus artistes au moment où les impressionnistes faisaient scandale avec leurs tableaux pas finis. Ils ont accompagné le mouvement, s’y sont mêlés, peintres de génération en génération. Par leurs choix de vie détonnants, ces aristocrates de l’art ont cassé les codes de leur milieu, préférant un mode de vie en accord avec leur passion et la compagnie des créateurs à celle de leurs semblables fortunés. « Pour les Rouart, qui ont retenu l’austère leçon de Degas, l’art ne se nourrit pas d’une ambition sociale ou mondaine et ne peut être l’instrument d’une gloire personnelle », écrit Dominique Bona dans son ouvrage, Les Rouart. De l'impressionnisme au réalisme magique. C’est Henri Rouart, fondateur de la dynastie, « qui a introduit le virus de la peinture », écrit son arrière-petit fils. Portraits de trois générations passées devant le chevalet.
Le grand-père : Henri, industriel et pionnier
Henri Rouart (1833-1912) est né littéralement au cœur de l’impressionnisme : un an avant Edgar Degas, avec lequel il fait ses études, et un an après Edouard Manet, l’oncle de sa future belle-fille. Il a toujours aimé la peinture et la pratique, au début, en amateur, suivant les conseils avisés du « bon père » Corot, comme l’appelle ses pairs. Henri, qui a fait Polytechnique, est un ingénieur brillant. Il invente et brevète, entre autre, la messagerie pneumatique (le petit bleu), un circuit de refroidissement industriel (utilisé dans les morgues) et surtout la technique du fer creux, un procédé métallurgique qui fera sa fortune.
Seul polytechnicien et peintre connu à ce jour, Henri apprend à manier le pinceau en amateur jusqu’à ce qu’il retrouve son camarade de lycée, le charismatique mais caustique Edgar Degas. Son influence attise définitivement la passion d’Henri pour l’art. A la quarantaine, il s’y consacre à plein temps. Il peint des paysages pondérés, d’un impressionnisme mâtiné de l’héritage de Corot et de Millet.
Immensément riche, Henri Rouart constitue dès 1860 une collection de tableaux exceptionnelle qui tapisse du sol au plafond les murs de son hôtel particulier de la rue de Lisbonne, à Paris, où il dispose d’un immense atelier. Sa collection compte des œuvres de Delacroix, Jongkind, Courbet, Daumier, Degas, Corot, Velazquez, Poussin, Gauguin, dont il est le premier acheteur. Son cher Degas, célibataire patenté, a trouvé chez Henri Rouart et ses cinq enfants bien plus que des proches amis, une famille de substitution.
Le fils : Ernest, peintre à plein temps
Ernest Rouart (1874-1942) est le quatrième enfant d’Henri. Naître l’année de la première exposition impressionniste a sûrement pesé sur son destin. Grandir au milieu d’une fabuleuse collection que peintres et amateurs éclairés venaient régulièrement admirer, aussi. Pourtant, Ernest fait Polytechnique comme son père, qui voit en lui un parfait successeur à la tête de l’empire industriel. Mais avant le diplôme, il choisit finalement de se consacrer entièrement à la peinture. Degas, l’intime de la famille, est appelé en renfort pour lui apprendre les subtilités d’un métier dont l’enseignement traditionnel à l’école des Beaux-Arts provoque des boutons chez le maître.
Ernest sera son seul élève, lui vouant une admiration sans borne malgré son enseignement à la dure. Degas lui inculque la finesse du regard et la délicatesse des tons, au service d’une peinture bien plus contemplative que la sienne. Rouart campe des scènes de la vie quotidienne et des instantanés de rue dans un impressionnisme assagi, sans jamais pratiquer les cadrages dynamiques de l’aîné. « Degas, bon et mauvais génie de la famille », comme le qualifie Jean-Marie Rouart, avait choisi de marier son élève à sa chère protégée, l’orpheline Julie Manet, issue elle aussi d’une famille de peintres, puisqu’elle est la fille de Berthe Morisot et d’Eugène Manet, frère cadet d’Edouard Manet.
En 1900 est célébré le double mariage d’Ernest Rouart et de Julie, ainsi que celui de sa cousine Jeannie Gobillard avec un jeune homme nommé Paul Valéry, que Degas a connu chez Mallarmé. Le vieil artiste ne s’est pas trompé : les quatre inséparables passeront toute leur vie ensemble, partageant le même immeuble parisien, le même château en été et le même amour absolu de l’art. Ils pratiquent la peinture, même l’écrivain Paul Valéry, se représentent les uns les autres, peignent leurs enfants, leurs nièces et leurs neveux. Quand Ernest Rouart portraitise son épouse Julie, c’est avec la même tendresse éperdue que Berthe Morisot peignant sa fille vingt ans auparavant.
Le petit-fils : Augustin, peintre à part
Augustin Rouart (1907-1997) est né d’une de ces unions présidées par Degas, qui, dans sa grande entreprise matrimoniale, eut l’idée de marier deux des fils de son ami Henri Rouart aux deux filles de son ami Henry Lerolle. Ce riche rentier était un peintre à succès, marié à une musicienne accomplie, sœur du compositeur Ernest Chausson. Chez les Lerolle, Debussy et Albéniz avaient leurs entrées tout comme Renoir et Maurice Denis. Les filles Lerolle sont immortalisées au piano dans un splendide tableau de Renoir, visible au musée de l’Orangerie.
Sous la férule de Degas, voilà donc deux Rouart casés, Eugène avec Yvonne Lerolle et Louis avec Christine Lerolle. Deux mariages ratés, deux destins malheureux, parfois tragiques (Yvonne se suicide). Augustin est donc le quatrième enfant de Louis et Christine Rouart. De son grand-père paternel, peintre et industriel, il a hérité du goût pour l’art mais pas du sens de l’argent. De sa grand-mère maternelle, le goût de la musique. Elevé dans un cocon, préservé des disputes parentales, formé à la peinture par son grand père maternel sous l’ombre toujours omniprésente de Degas, Augustin Rouart devient peintre en se glissant doucement dans une bulle hors du temps, loin de l’atmosphère impressionniste envahissante de son enfance.
A trois ans, sa bouille ronde était immortalisée par Maurice Denis, à quatre par sa tante Julie Manet. Lui représentera ses enfants endormis sous des draps avec un minimum d’effets. Ligne claire et épure absolue sont les maîtres mots de cet artiste en retrait de la société, qui n’a quasiment jamais exposé de son vivant et toujours tiré le diable par la queue. Lorsque pour ses 80 ans, son fils Jean-Marie Rouart lui demande quels critiques d’art inviter à une rétrospective qu’il a organisé, ce père rêveur répond n’en connaître aucun. « Il avait peint pendant soixante ans en dehors du circuit de l’art, ne songeant qu’à ce qu’auraient pensé les maîtres qu’il admirait », écrit-il. Le plus beau compliment qu'on puisse faire à un artiste. Source
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