Oskar Kokoschka, les mains comme psychologie
Laissez-moi vous emmener dans l’univers d’Oskar Kokoschka.
Une magnifique exposition « Oskar Kokoschka, un Fauve à Vienne » a lieu jusqu’au 12 février prochain au Musée d’Art Moderne de la ville de Paris.
De nombreux documentaires à son sujet prolifèrent et contrairement aux fois précédentes, où je vous ai rapporté l’exposition, je vais aujourd’hui plutôt m’attarder sur un thème qui m’a intéressé : les mains dans la peinture d’Oskar Kokoschka.
Au travers d’exemples de quelques tableaux qui m’ont plu, je vous propose de prendre ce fil rouge, qui permettra de comprendre la démarche artistique d’Oskar Kokoschka.
Revenons rapidement sur Oskar Kokoschka
Un artiste pluridisciplinaire, puisqu’il était peintre, poète, essayiste et dramaturge.
Né en 1886 à Vienne, contemporain de Gustav Klimt et Egon Schiele, il est ancré dans la vie intellectuelle viennoise, particulièrement riche à cette époque.
Très indépendant, il s’est toujours affranchi de toute influence ou de tout mouvement.
D’ailleurs, il n’a jamais vraiment été, comme le sont les artistes en général classés dans un mouvement balisé de l’histoire de l’art.
Pourquoi ?
Parce qu’il s’agit d’un artiste à part. A part, ne signifie pas supérieurs à ses pairs.
Le seul qualificatif qu’il acceptait était celui d’expressionniste :
« Je suis expressionniste, car je ne sais pas faire autre chose qu’exprimer la vie » pour reprendre ses propos.
Et c’est en cela que l’on comprend bien à quel point il est un témoin de son temps.
Et il a été plus que cela puisqu’il a incité ses contemporains à ouvrir les yeux et les consciences.
Outre le fait qu’il a été la cible des nazis dans le cadre de la dénonciation de l’art dégénéré, « Entartete Kunst», il a toujours combattu toute forme de fascisme et il sera reconnu comme une figure de référence dans la réconciliation contemporaine .
Il est toujours resté dans le Devenir, participant activement à la reconstruction de cette Europe pervertie par les années sombres dans son identité et son intellect.
Kokoshka est mort quasi centenaire, et n’a cessé de s’interroger sur les tenants et aboutissants de son temps et ses écrits tout aussi importants que son art graphique, prouve son attachement et son intérêt de l’évolution de l’homme dans la société contemporaine.
« Ce qui fait l’homme, ce n’est pas d’être né, mais de le devenir chaque jour » dit il
Je vous invite à lire les textes d’Oskar Kokoschka « L’œil immuable », où vous ferez la découverte d’un artiste qui sait ouvrir les consciences et qui possède une véritable vision du monde, au travers d’une analyse esthétique.
On a souvent dit d’Oskar Kokoschka qu’il était existentialiste : ce qui est évident, c’est que l’humain, l’autre le fascine.
Mais revenons à notre sujet : les mains dans la peintre de Kokoschka.
Kokoschka était un amoureux de l’art ancien, grec et baroque
Dans l’iconographie des anciens puis tout au long de l’histoire de l’art, les mains ont toujours été une expression privilégiée: les gestes de la main sont comme des symboles ou des mots renvoyant à des notions complexes.
Les mains jouent un rôle essentiel dans la peintre d’Oskar Kokoschka.
Dans l’iconographie indienne, les mouvements codifiés des mains sont appelés « mudras », terme sanskrit d’origine védique signifiant « signe » ou « sceau », avec l’idée que la mudra est un geste qui scelle, confirme ou garantit une action.
Les mudras s’appliquent aux gestes d’une personne (danseur), d’un personnage artistique (peinture, sculpture) ou d’une divinité, et peuvent véritablement être lus par le spectateur, même si la subtilité de leur codification n’est comprise que par une élite.
Soyons cette élite et partons observer les mains dans les différents tableaux de Kokoschka exposés.
"Le Joueur de transe" représentant l’acteur Ernest Reinhold, daté de 1909 un ami de l’artiste, est exposé à l’entrée de l’exposition et c’est là où j’ai été subjuguée par deux traits majeurs de ce portrait : les yeux et les mains qui se font résonnence.
Vous constaterez que la taille des mains est inédite, à quatre doigts.
L’artiste explore ici l’aspect psychologique du sujet qui prend le dessus sur la réalité.
Cette œuvre fera partie des œuvres saisie des collections allemandes en 1937.
Un autre exemple : le portrait d’Auguste Forel daté de 1910 : on ne peut pas manquer à nouveau l’expression des mains et du regard.
Tout est dit : la posture et les mains quasi torturées, dans un sens d’introspection intellectuelle, mises en avant qui semblent exprimer tout l’intellect de ce célèbre psychiatre et scientifique suisse.
La posture du personnage est faite dans une représentation quasi irréelle, et on ne peut qu’être attiré par les mains.Le résultat devait être probant car son commanditaire refusa l’œuvre, jugeant que ce tableau relevait plus « du domaine de la psychiatrie qu’à celui de l’art ».
Un autre tableau étonnant est celui du Père Hirsch daté de 1909.Là encore le caractère est mis en avant : observez la position des mains, orientées vers l’intérieur, un côté réducteur, en résonnence à avec un regard cupide et des dents dévoilées, non pour découvrir un sourire charmeur, mais laissant transparaître un trait de caractère qui ne semble pas bien heureux.
En effet, Moritz Hirsch était un riche homme d’affaires hongrois décrit comme un homme têtu et colérique. Si l’art du portrait dissimule traditionnellement les dents, Kokoshka les dévoile ouvertement, on ne voit que cela…
Il sera d’ailleurs accusé par le public de caricaturer ses modèles.
Pour ma part, je trouve ce tableau plein d’humour !
Ce tableau sera également confisqué en 1937 et sera présentée lors de l’exposition d’art dégénéré en 1937 – Il faut savoir que cette exposition a connu à l’époque un succès hors pair.
Même dans ses dessins les mains ont une importance et exprime tout de suite l’idée qu’il a voulu transmettre : cette vieille femme de dos, dessin daté de 1907, en est l’expression la plus parfaite.
Découvrons « Les mains » comme expression de la complicité du couple.
Ce portrait de Hans et Erica Tietze, daté de 1909, est très fort :
les mains d’Hans, dans une douceur et une détermination intime, se rapprochent de celles d’Erica figurée une main sur le coeur et une main réceptive à la main complice de son époux qui lui est tendue .
Au-delà de cela , l’expression de chacun d’eux est respectée, chacun représenté dans une certaine introspection, dans une atmosphère brumeuse mais colorée, marquant à nouveau la complicité du couple.
Kokoschka a réalisé ce tableau sans faire poser le couple ensemble, comme si chaque fragment de l’un et l’autre s’imbriquait.
Hans et Eric Tietze était un couple d’historiens et critiques d’art, grands défenseurs de l’art de Kokoschka, et proches amis de l’artiste.
Une approche plus classique du portrait serait celle de Max Schmidt, une posture où, là encore, le visage et les mains se répondent exprimant un personnage intellectuel posé.
« Le gestionnaire » tableau de 1910, témoigne du caractère du personnage :
Les yeux baissés, dans un calme absolu, posé, rassurant comme le serait un bon gestionnaire, la main posée sur son torse, un sourire bienveillant.
Rebondissons sur la posture des mains, avec ce portrait d’Herwardt Walden :
Un air d’intellectuel affiché, grand front, lunettes sur le nez, un air d’introspection, la main sur la hanche prouvant une certaine assurance de soi. Ce portrait a été peint durant la préparation de la création de la revue Der Sturm.
Der Sturm est un magazine sur l'expressionnisme fondé à Berlin en 1910 qui était doublé d'une galerie d'exposition homonyme où furent présentés la plupart des acteurs internationaux de l'art moderne
Les mains de part et d’autre du corps de cette jeune fille couplée à un regard rêvassant au futur dans un halo de lumière vêtue d’une robe bleue dans une attitude posée pourrait rappeler les portraits des vierges classiques.
Hommage aux sujets traditionnels d’histoire de l’art avec cette Annonciation datée de 1911, les mains occupant quasiment les trois quarts du tableau dans l’iconographie de la scène.
Une posture de renfermement est celle de ce « Prisonnier», tableau daté de 1914, les mains croisées, le regard dirigé vers une fenêtre ouverte, symbole d’une liberté convoitée et symbole de sa liberté intérieure.
Les mains comme symbole d’engagement : ce tableau représentant Leo Kestenberg représente l’artiste, les poings fermés, dans une pose frontale, suggérant son engagement politique, impliqué dans les activités du mouvement social-démocrate dès 1918.
Je pourrai poursuivre au travers de nombreux exemples, mais cela pourrait paraître redondant.
Le mieux est désormais est de vous déplacer à l’exposition qui est, je dois dire, incomparable dans les thématiques abordées et l’importance du nombre des tableaux.
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