Sayed Haider Raza, un pont entre l'Inde et la France
Commentaires autour de l'exposition au Musée Beaubourg à Paris
Cette exposition a été rendue possible par la Fondation Raza, organisatrice et fédératrice, qui aura su rassembler autour d’elle la Fondation Piramal qui a prêté 35 peintures et quelques collectionneurs qui se sont liés à cet effort.
Au-delà de ce pan artistique, l'ambassadeur d'Inde en France, a estimé que cette grande exposition était le nœud culturel entre l'Inde et la France.
Cette exposition vous permettra, en effet, de découvrir dans une évolution chronologique, le travail de l’artiste et notamment des œuvres rarement dévoilées.
Si vous connaissez déjà l’artiste Raza, vous devez probablement, comme moi, associer son travail essentiellement aux tableaux de la fin de sa carrière qui sont les plus présents dans les salles de maisons de vente aux enchères.
Revenons tout d’abord à notre artiste Raza, qui est-il ?
Sayed Haider Raza né en 1922, était un chercheur, comme l’est tout artiste, me direz-vous. Mais également un fédérateur.
Raza a vécu et travaillé en France de 1950 à 2011, marquée par des allers-retours entre sa terre natale et son pays d'adoption.
Il a commencé à s’exprimer au travers de la fondation du Progressive Artists Group dans le Bombay animé des années 1940, s’inscrivant dans un climat d’effervescence artistique et politique de la ville, à l’heure de l’Indépendance et de la Partition.
Ce groupe avait été créé pour explorer, plus avant, les préceptes du modernisme qui n'étaient pas encouragés dans les écoles d'art de l'époque.
L’enseignement que Raza reçoit par ailleurs à la Sir J.J. School of Arts, distinct des canons esthétiques nationalistes de l’École du Bengale, porte une attention renouvelée aux formes des sculptures classiques et des miniatures indiennes.
C’est ainsi que naquit cet artiste qui, au travers de sa formation et de ses expérimentations plastiques, aura su dessiner les contours d’une génération d’artistes cosmopolite, attentive aux avant-gardes européennes, autant qu’à l’art classique indien et déterminée surtout à inventer et à faire connaître de nouvelles formes d’expression.
C’est exactement cela que cette exposition nous fait découvrir et qui nous fera comprendre la démarche artistique de Raza, mêlée entre ses origines et ses expérimentations françaises et américaines.
En 1950, il part à Paris pour étudier à l'École nationale des Beaux-Arts de Paris. Raza connaît alors un succès commercial et reçoit en 1956 le prestigieux Prix de la Critique, qui lui confère une reconnaissance internationale.
Raza rencontre en 1955 la galeriste Lara Vincy, qui le représente dès lors et œuvre avec détermination à sa reconnaissance.
Mais son séjour en France va plus loin; son séjour va lui apporter une autre dimension : Raza est touché par les post-impressionnistes : Vincent Van Gogh, Paul Cézanne et Paul Gauguin.
C'est alors que Raza commence alors à utiliser davantage de pigments à base d'huile et son travail s'oriente davantage vers l'atmosphère évoquée par la couleur.
Un rapprochement avec le style des peintres de l’École de Paris, très en vogue à l'époque, lui assure de premiers succès auprès du milieu artistique parisien, qui lui décerne notamment le prix de la critique en 1956, suivi de premières expositions internationales.
Mais Raza ne s'arrête pas là.
Changement d’horizon en 1962, Raza s'installe aux États-Unis pour enseigner à Berkeley Il entre en contact avec de nombreux peintres américains : Sam Francis, Jackson Pollock et Mark Rothko. Ces artistes utilisent l'expressionnisme abstrait et Raza commence à peindre avec des récits abstraits et un sens plus profond de la récession spatiale.
Encore de nouvelles nourritures, qui lui permettent de faire évoluer son travail.
Les années 70 et 80 sont marquées par un retour aux sources : Les paysages abstraits de Raza représentent une expression visuelle des propres méditations de l'artiste, clairement inspirées par des souvenirs d'enfance en Inde
L'année 1981 marque le début de la progression de Raza vers des compositions géométriques formelles, dominées par la couleur et la forme.
Comme chez Mark Rothko, le noir est l'une des couleurs les plus riches de la palette de Raza et signifie un état véritablement de plénitude.
Lors de son retour en Inde en 2011 - après plus de soixante ans passés en France, où il a été influencé par l'École de Paris et les paysages du sud de la France, comme je vous l'ai expliqué tout à l"heure, où il a construit son atelier - Raza a incarné plus que jamais ce pont entre les cultures française et indienne.
En effet, il s’agit d’une invitation à regarder l'art abstrait sous un angle nouveau, en faisant un saut dans la dynamique transculturelle, qui a donné forme à l'art du XXe siècle.
Raza fait partie d'une génération d'artistes cosmopolites, aussi proche de l'avant-garde européenne que de l'art classique de son pays, mais déterminé à investir de nouvelles formes d'expression.
Mais revenons donc à notre exposition.
La déambulation se fait au travers de cent peintures qui nous emmènent dans l’univers de Raza et apporte peu à peu des réponses au langage de l'artiste.
Raza aura sur réinventer la peinture de paysage dans une tonalité abstraite, tout en insufflant des inspirations diverses
En fait, il dépasse les différentes cultures pour créer son propre langage et on peut y voir une démarche universelle.
Les peintures ragamala associent peinture, poésie et musique indienne classique, attestant des liens profonds et interdépendants entre les sons et les visuels, l’humeur et le temps qui traversent tant de siècles.
Ces préoccupations rencontrent l’amplitude gestuelle et la portée spirituelle des œuvres de l’expressionnisme abstrait américain comme Hans Hofmann, Sam Francis et Mark Rothko notamment. Raza les fréquente d’ailleurs comme je vous l’avait dit, lors d’un séjour aux États-Unis en 1962.
Il produit alors une série de toiles majeures intitulées La Terre, variations magnétiques et crépusculaires épuisant la thématique de son attachement au sol natal.
Je vous propose maintenant de vous poser un instant et regarder quelques tableaux de l’artiste.
Voici un tableau intitulé Hauts de Cagnes daté de 1951
J’ai choisi ce tableau car il s’agit d’une oeuvre importante devenue la pierre angulaire de l'exploration de ses ambitions en matière d'échelle, de technique et de composition.
Peint en 1951, peu après l'arrivée de Raza à Paris, les Hauts de Cagnes, gouache sur papier, est le fruit de la rencontre de l'artiste avec l'Europe. Deux rangées de maisons stylisées traversent la toile. Les formes sont réduites à des formes géométriques essentielles. Il n'y a aucun signe visible d'habitation humaine.
Un soleil noir plane au-dessus du coin supérieur gauche de la peinture.
Retenez bien que ce motif deviendra plus tard le motif Bindu déterminant dans les paysages de Raza, dont je vous ai parlé tout à l'heure.
Bindu, que cela signifie-t-il d'ailleurs ?
Bindu est un terme sanskrit qui signifie «point» ou «point». Dans la philosophie et la religion indiennes, le bindu a plusieurs connotations apparentées, mais on peut dire qu'il est généralement considéré comme le point à partir duquel la création commence et où elle est finalement unifiée.
Le second tableau que j'ai choisi est l'Eglise st Calvaire Breton, daté de 1956
Cette œuvre est significative en ce qu'elle représente le tournant entre deux étapes du développement artistique de Raza et marque son lien indéfectible avec son épouse.
La période des années 1950 de Raza est celle des paysages et des églises.
L'amour de Raza pour les églises est lié à son amitié avec Janine Mongillat, avec laquelle il a entretenu une longue correspondance amoureuse entre les années 1953 et 1954.
Pour la petite histoire, c’est dans l'atelier d'Edmond Heuzé que Raza a rencontré Mongillat, également élève de l'École nationale des Beaux-Arts de Paris, qu'il a épousée en 1959
Raza utilise ici des coups de pinceau gestuels et un lourd empâtement, des procédés stylistiques qui font d'ailleurs allusion à ses abstractions ultérieures des années 1970.
Ce n'est plus la nature telle qu'elle est "vue" ou "construite", mais la nature telle qu'elle est vécue".
Un autre tableau Maa, daté de1981, qui est une représentation des cosmogrammes indiens de Raza qui reflètent une spécificité culturelle et historique. Je le cite : "Quand je travaille, je retiens l'essentiel, basé sur l'instinct et la perception directe qui va au-delà de la connaissance pour créer une série de cadences nées des instincts intérieurs et de l'intuition."
Mon avis sur l’exposition
L’exposition se veut didactique et apporte des points de repères qui abordent les grands enjeux de la peinture au XXème siècle.
Probablement parce que dans une optique de faire découvrir toute la carrière de l’artiste, finalement aucune partie n’étant pris en particulier, j’ai eu le sentiment de n’aborder que quelques pans de l’artiste sans pouvoir me plonger totalement dedans.
Néanmoins, une occasion de voir des tableaux souvent de formats importants que nous ne serons pas prêts de recroiser avant longtemps.
Sept ans après la mort de l'artiste, je saluerais l’initiative du musée Beaubourg pour oser présenter une exposition monographique en France d’un artiste plein de talent mais pas forcément facile à appréhender.