C’est au Salon d’Automne de 1906 que Soudbinine, sculpteur russe installé à Paris en 1902, a exposé au public ses Monstres endormis. Cette oeuvre faisait peut-être partie d’une trilogie puisqu’elle était accompagnée à cette occasion de deux autres bronzes : Les monstres amoureux et Les monstres furieux.
Ici, trois créatures hybrides sont blotties les unes contre les autres dans un assoupissement bestial. Par leur caractère fantastique et leur position accroupie, ces êtres constituent une citation du célèbre grès de Jean Carriès figurant un être mi-homme, mi-animal : le Grenouillard (1891, musée d’Orsay). Dans le groupe de Soudbinine, la créature centrale présente un visage de nourrisson mais avec des oreilles tombantes de lapin ou d’ovin. Elle est polymaste (porteuse d’un nombre excessif de seins ou de mamelles), ses membres antérieurs aux sabots caprins présentent des attaches dotées de membranes évoquant aussi bien les batraciens que les chauves-souris.
Les deux autres monstres, plus petits, sont affublés d’un museau de mouton ou de lapin et de petits membres difformes. Pour l’un deux, Soudbinine semble s’être à nouveau inspiré de Carriès. Il pourrait être une citation, monstrueuse, de l’une des grenouilles en grès émaillé, disposées sur un montant de la maquette en plâtre d’une Porte monumentale, inachevée, conçue par Carriès entre 1890 et 1894. Des éléments de cette porte, exposés au Petit Palais à Paris depuis 1904, ont pu en effet inspirer Soudbinine.