Face à face entre Wesselmann et Matisse à Nice

La semaine dernière, je vous faisais découvrir l’exposition de Matisse au musée de l’Orangerie dans une période déterminée, celle des années 30.

Aujourd’hui je vous emmène à Nice, sur les traces de Matisse, découvrir cette belle exposition « Tom Wesselmann after Matisse » qui a lieu jusqu’au 29 mai 2023.

Le musée Matisse est très doué pour présenter des « face à face » entre Matisse et des artistes contemporains majeurs.

L’année dernière, une exposition mettait en scène Matisse et David Hockney intitulée « Hockney-Matisse, un paradis retrouvé », durant laquelle se créaient des résonances, mettant en lumière un univers commun aux deux artistes.

Au travers de cette exposition aujourd’hui, je vous ferai découvrir que le peintre Tom Wesselmann, véritable icône du pop art, s’est grandement inspiré de Matisse.

Pourquoi ? Comment ? Qu’en a-t-il fait ?

Mais avant de nous pencher sur cette rencontre inédite entre Matisse et Wesselmann, revenons sur le parcours de Tom Wesselmann.

Tom Wesselmann, artiste américain né en 1931, associé au mouvement du pop art, commence sa carrière artistique dans les années 50, en tant qu’illustrateur publicitaire à New-York.

Dans les années 60, il commence à créer des œuvres d’art Pop qui ont été influencées par le mouvement du Pop Art et de l’Op art.

Devenu célèbre pour ses « Great American Nude »et ses «Still Life» qui ont attiré l’attention pour leur sensualité et leur esthétique commerciale, Wesselmann commence à travailler dans les années 80 sur des collages et des sculptures en bois à trois dimensions, dans la continuité des mêmes thèmes.

Ses œuvres ont souvent été controversées pour leur représentation de la sexualité et leur utilisation de la publicité.

L’impact de Wesselmann sur l’art contemporain se fait sentir dans son exploration de l’intersection entre l’art et la culture populaire, ainsi que dans sa fusion de la publicité et de l’art.

Il a définitivement laissé une marque indélébile dans l’histoire de l’art et aura influencé de nombreux artistes de la génération suivante, notamment au travers des mouvements néo-pop et de la figuration narrative.

Donc voici l’essentiel à connaître. Néanmoins,  je vous invite à vous arrêter dans une petite salle intermédiaire pour vous plonger quelques instants dans la frise chronologique proposée dans cette exposition, qui retrace de manière synthétique, mais non moins efficace, le parcours de Tom Wesselmann.

Revenons donc à notre exposition au travers laquelle je vous ferai comprendre l’influence qu’aura eu Matisse sur Tom Wesselmann.

Vous connaissez tous les Odalisques de Matisse :

Les Odalisques sont une série de tableaux réalisés par Henri Matisse de 1921 à 1928, notamment au cours de l'hiver 1922-1923, inspirés par ses voyages au Maghreb qui permettent à l'artiste de se confronter à deux aspects essentiels de son esthétique : les figures et les décors.

Tom Wesselmann produit dans les années 60 ses American Nude, hommage à Matisse, à ses nus et ses fameuse odalisques .

Wesselmann a, je pourrais dire, intégrer les Odalisques de Matisse pour les transformer en des icônes pop.

L’œuvre de Henri Matisse reste pour Wesselmann une véritable référence.

Mais pourquoi ?

Au-delà de toute considération artistique, il faut tout d’abord resituer le contexte.

Tom Wesselmann s’installe à New-York en 1956.

Matisse est mort deux ans auparavant et reste toujours très présent sur la scène artistique américaine.

Wesselmann a connu Matisse au Moma ou dans des galeries qui présentaient alors l’œuvre de Matisse, sans compter la diffusion d’affiches ou de cartes postales à disposition du grand public.

Matisse est une véritable super star aux Etats-Unis, qui comme toute icône américanisée, sera vulgarisée pour diffuser son art à un niveau populaire.

C’est probablement également cela qui aura intéressé Wesselmann.

Cette exposition met en exergue au travers d’une exceptionnelle sélection d’un quarantaine d’œuvres l’admiration que Wesselmann portait à Matisse d’une part, mais surtout la manière dont le travail de Wesselmann a transcendé celui de Matisse.

De ses premiers collages de 1959 jusqu’à ses œuvres des années 2000, marquées par les Sunsets Nudes, Wesselmann aura su apporter sa propre « conception matissienne de la couleur et de la surface » pour reprendre les termes du conservateur du Musée Matisse.

Vous découvrirez  dans cette exposition Wesselmann dans son atelier, travaillant à la technique du collage dans une notion essentielle qu’est celle de l’échelle : du plus petit format au monumental.

On ne peut que se rappeler des années 30 durant lesquelles Matisse fera appel au découpage et collage, s’attaquant alors au travail monumental, notamment au travers de la Danse, pour revenir à des plus petits formats et au travail de chevalet dès 1935.

Le lien est donc fait dans cette exposition au travers de quatre grands ensembles, qui témoignant du dialogue entre les deux artistes : les collages, les Great American Nudes, les Steel Drawings et les Sunsets Nudes rassemblant une sélection de quarante et une œuvres.

Voici quelques œuvres à retenir de cette exposition :

"Blue Dance" datée de 1996-2002 retrace la ronde des danseurs de la Danse de Matisse,  au travers de silhouettes bleues foncées qui se marient à des formes géométriques de couleurs.

Souvenons-nous qu’au début des années 60, Wesselmann avait voulu s’éloigner de l’abstraction.

Un retour en arrière- qui n’en est pas un en fait mais plutôt une synthèse de sa démarche, Il retrouve au début des années 90, un langage abstrait.

Le maître Matisse est au cœur de cette création, comme un parrain qui aura su guider Wesselmann.

La série des Nus Bleus entreprise en 1952, est l’un des sommets de la recherche de Matisse autour de la représentation de la figure dans l’espace. Son titre fait référence au "Nu Bleu" de 1907, qui marqua une étape fondatrice de cette recherche, en rupture avec les codes de la représentation classique.

Réalisé avec la technique des papiers gouachés découpés, "Nu bleu IV" procède d’une succession de déplacements d’éléments de papiers bleus, épinglés.

Wesselman adoptera un peu la même chose, puisqu’il utilise le procédé des Steel drawings, dessins en aluminium ou en acier agrandis ensuite par projection. La réalisation technique se fait au laser mais l’artiste revient ensuite par un ajout de fusain ou de peinture.

Toute une série naîtra de cette réflexion dans les années 80 dans le travail de Wesselmann

Une autre oeuvre sélctionnée : Monica Nude and the Purple Robe (Artist version)

Derrière la sensuelle silhouette de Monica, on aperçoit le bas d’un tableau de Matisse « Robe violette et anémones »

Ici Monica endosse le rôle de l’Odalisque, sa pose suggestive inscrivant ce motif classique dans une posture contemporaine.

L’exposition, vous le verrez,  n’a rien de linéaire, puisqu’il ne s’agit pas de vous exposer des œuvres les unes à côté des autres, mais de vous faire ressentir la démarche de Wesselmann par rapport au travail de Matisse.

En effet, une salle consacrée aux nus de Matisse vous permet de comprendre ce lien entre les deux artistes.

Observez ce nu de Matisse « Nu renversé étendu sur le dos »  daté de 1946 et ce nu « Drawing for Great American Nue #20 » daté de 1961 : encore un joli regard croisé qui annonce la série des Great American Nudes. Il s’intéresse alors à Matisse à travers le thème du nu, ou plus précisément celui de la figure nue dans un intérieur domestique, à caractère hautement érotique.

Nous voici avec cet exemple : Great American Nude #12 (1961)

Si les courbes sensuelles caractéristiques des Great American Nudes disparaissent et remplacées ici par une substance informe et couleur chair, la couverture d’un magazine féminin pallie cette lacune, tandis que les couleurs du drapeau américain ( bleu, blanc , rouge) s’immiscent dans le fond. On retrouve dans la composition, les mêmes tissus bigarrés qui servaient de cadre aux Odalisques de Matisse.

A la fin de sa vie,  Wesselmann  réalise une série de peintures qui sont son ultime hommage à Matisse :  "les Sunset nudes"

Ce sont des grands formats, réalisés entre 2002 et 2004, où il revient aux assemblages éclectiques des années 60 avec Matisse en toile de fond, l’ombre du mentor clairement défini.

Mais alors pourquoi cette fascination et qu’en fait finalement Tom Wesselmann et quelle trace nous laisse-il ?

L’œuvre de Wesselmann nous permet de porter un regard différent sur Henri Matisse, insistant sur la modernité de ses odalisques devenues de plus en plus contemporaines à l’instar de "Nu rose" de 1935, exposées actuellement aux Tuileries et qui seront exposées très prochainement  ici à Nice.

A travers son regard, l’odalisque matissienne est devenue une icône pop.

Si je devais donner mon avis sur cette exposition.

Inutile de rappeler, tout d’abord, que ce musée est une merveille.

Très aéré, agréable dans sa déambulation, il permet par ses multiples salles d’aborder, en toute subtilité, ce face à face que je qualifierais plutôt de pas de deux entre Matisse et Wesselmann.

Ici dans le fief de l’artiste Matisse, Wesselmann s’invite à porter un ultime hommage à Matisse.

Et le musée Matisse lui rend bien cela en s’attachant à montrer Wesselmann à l’atelier et à nous faire découvrir et comprendre la technique des collages et des dessins en volume.

L’exposition des années 30, exposée actuellement à Paris, viendra rejoindre les murs du musée Matisse dans quelques mois et apportera une lumière et vous fera comprendre, si vous la voyez à Nice, que la synthèse et l’épuration nécessaire de l’artiste Matisse a été ici dans notre exposition visée par Wesselmann - car pour tout artiste, sa démarche doit être de plus en plus épurée pour rejoindre sa propre lumière.

Ce qui prouve que même si les artistes en se sont pas connus, ils savent se rejoindre dans leurs œuvres dans une même démarche artistique.

Je ne saurais trop vous inviter à revenir sur vos pas pour déambuler entre les œuvres de Matisse et Wesselmann et retracer, à l’envers,  ce que vous avez découvert et les œuvres vous apparaîtront encore plus parlantes.

Elodie Couturier