Vincent Van Gogh au Musée d'Orsay
Van Gogh à Auvers-sur-Oise, les derniers mois, jusqu’au 4 février 2024.
À chaque fois que son nom est évoqué, le succès est quasiment instantané.
Vincent Van Gogh s’empare à nouveau de l’actualité artistique parisienne en faisant cette fois l’affiche du musée d’Orsay et des expositions phares européennes.
L’exposition se consacre à une période clé, dédiée aux œuvres créées par Vincent Van Gogh durant les derniers mois de sa vie à Auvers-sur-Oise, près de Paris.
L’évènement de cette exposition vient du fait qu’il s’agit là de la toute première exposition consacrée à cette période cruciale de la vie de l'artiste.
Cette exposition est à mon sens un double évènement : non seulement elle dénombre une quarantaine de tableaux et une vingtaine de dessins, qui constituent chacun des chefs d’œuvre, mais également elle permet de rentrer dans l’intimité de la démarche et de l’affect de l’artiste, mais cela j’y reviendrai plus en détail ensuite.
Mais avant de vous parler de l’exposition proprement dite et de vous partager mon opinion, resituons le contexte temporel.
Contexte
Le 27 juillet 1890, Vincent Van Gogh se tire une balle dans la poitrine dans un champ à Auvers-sur-Oise, où il est installé depuis le 20 mai. Le peintre néerlandais décède deux jours plus tard.
Le musée d'Orsay fait un compte à rebours et consacre une exposition inédite à ces deux derniers mois de sa vie, une période intense de création, de questionnement et de renouvellement de son art, une période qui dévoile un renouveau artistique remarquable.
Vincent Van Gogh arrive à Auvers-sur-Oise le 20 mai 1890 dans une période critique.
Après avoir été durement éprouvé par les différentes crises qu'il a subies à Arles puis dans l’asile de Saint-Rémy, il a décidé de se rapprocher de Paris et de son frère Théo pour trouver un nouvel élan créatif.
Son choix se porte alors à Auvers en raison de la présence du Dr Gachet, un médecin spécialisé dans le traitement de la mélancolie, et point important, un ami des impressionnistes, collectionneur et peintre amateur.
Il s'installe dès lors au centre du village, dans l'auberge Ravoux, et y explore tous les aspects de son nouveau monde tout en luttant contre des inquiétudes multiples liées à ses crises, sa santé, ses relations avec son frère et sa place dans le monde de l'art.
Revenons à l'exposition proprement dite.
L'exposition
Cette exposition a été rendue possible grâce à la collaboration du Musée Van Gogh d’Amsterdam, où l’exposition a déjà été présentée entre mai et septembre et le Musée d’Orsay. Les deux musées possédaient déjà un noyau d’une quinzaine d’œuvres.
Se sont greffés de nombreux prêts, des Etats-Unis beaucoup bien entendu, de Suisse, ou des pays scandinaves pour les musées, sans compter ceux de collectionneurs privés. Quelques œuvres majeures manquant à l’appel, c’est une remarque de gourmand, comme Le Paysage avec carriole et train conservé au Musée Pouchkine de Moscou, que l’on ne verra pas de sitôt sur nos cimaises européennes.
Le musée d’Orsay possède sept à huit tableaux de cette période, grâce au legs du fils du docteur Gachet, le médecin qui s'est occupé de Van Gogh à Auvers-sur-Oise, devenu un ami. Une condition sinéquanone : que les tableaux ne soient jamais prêtés, sauf si la famille de Van Gogh créait un musée.
Le must de cette exposition me semble être les tableaux de formats panoramiques dits en « double carré » réalisés à Auvers-sur-Oise et montrant les Paysages, Toits de maisons et Champs de blé.
Treize toiles de ce format ont été peintes par Van Gogh lors de ses deux mois à Auvers-sur-Oise et onze sont ici réunies et constituent le moment fort du parcours.
L'exposition nous dévoile une quarantaine de tableaux et une vingtaine de dessins qui mettent en lumière cette période avec un propos thématique : premiers paysages figurant le village, portraits, natures mortes, paysages de la campagne environnante.
Dans tous les cas, cette expo est pour nous l'occasion de découvrir cette période cruciale de la vie de Van Gogh et d'apprécier sa dimension artistique.
La démarche de l'artiste
Revenons plus précisément sur la démarche de l'artiste.
On pourrait rester des heures devant les couleurs vibrantes des paysages des bords de l’Oise.
Observez : d’un tableau à l’autre, le geste est guidé par les états d’âme de Vincent Van Gogh : tantôt perturbé ici ou plus apaisé là, renfermé ou ouvert vers le ciel, chaque tableau apporte son propre langage.
On y voit toutes les recherches d’un Van Gogh en pleine possession de sa technique, avec des jeux de touches longues, pointillées ou enroulées avec ses couleurs pures, avec un dynamisme que l’on a envie de relier avec les dérèglements de sa santé mentale qui vont le conduire au suicide et à son décès le 29 juillet 1890.
Van Gogh s'est beaucoup exprimé sur son art, dans les nombreuses lettres qu'il écrit, surtout à son frère Théo. Une petite salle est d’ailleurs consacrée à cette riche correspondance.
Vous pouvez d’ailleurs vous procurer ce petit livre très instructif juste à l'extérieur de l'exposition. Il met en exergue cette échange entre son frère qui le comprenait, et surtout qui était à son écoute.
Ceci permet de "comprendre le sens de cette dernière étape", même si on ne saura jamais exactement pourquoi il a commis son geste ultime du suicide. Il s'agit donc surtout de "s'interroger sur sa vision".
Une vision que l'artiste lui-même évoque dans une lettre à Théo.
Pour revenir à sa démarche artistique, Van Gogh peint sur le motif, il pose son chevalet, il a besoin de la réalité des choses.
Et c’est bien cela qui est palpable dans cette exposition, quelque chose se passe.
Vous ne pouvez rester indifférent à l’âme de chacun des tableaux.
On ressent quelque chose de fort, au travers des traits et de la couleurs, comme si Van Gogh tentait de coucher sur ses tableaux ce qu’il vivait en lui dans la retranscription de la nature telle qu’il la vivait dans ses tripes et son esprit.
Un des grands thèmes de cette période, c'est le champ, vide de présence humaine, miroir de la solitude.
Il faut bien comprendre qu’en mai 1890, Van Gogh sort d'un an d'internement après des crises de démence.
S'il a choisi de s'installer à Auvers-sur-Oise, c'est en raison surtout de la présence de Paul Gachet. Paul Gachet est un médecin un peu atypique, adepte de l'homéopathie, peintre et graveur amateur qui fréquente les artistes de passage, mais qui est surtout un spécialiste de la mélancolie.
Il devient un ami et reçoit Van Gogh à déjeuner tous les dimanches.
C’est là un nouveau repère pour l’artiste. Il peint à cette époque différents portraits dont Adeline, la fille de son aubergiste.
Paysage ou portrait la démarche est la même : si vous oubliez le sujet en tant que tel, vous ressentirez la même démarche transcendante de l’artiste.
L'exposition se termine en apothéose, avec la quasi-totalité (11 sur 12) , je le signalais tout à l’heure, des paysages de format panoramique que Van Gogh a réalisés entre le 20 juin et la fin de sa vie.
Pourquoi parle-t-on d’apothéose ? Car c’est l’ouverture à une nouvelle peinture, bien au-delà du motif : l’artiste se met à nu et je suppose que cela n’était pas aisé, eu égard à ses problèmes psychiatriques.
Finalement plus rien n’existe, l’expression au service de l’esprit : la matière et le format créent le langage, sans que le sujet ne soit essentiel.
Les thèmes sont pourtant variés : champs sous une fine bande de ciel ou au contraire un grand ciel d'orage, meules en gros plan, fermes. Tous ces sujets nou permettent finalement, spectateur, de tenter de comprendre la relation entre l’artiste et une part de son divin.
Le dernier tableau peint par Van Gogh, Racines, le matin de son suicide, est particulièrement émouvant. Il n'avait jamais été montré à Paris. Il y représente de façon presque abstraite des racines d'arbres bleues entremêlées, en plan rapproché : une épuration du trait vers un dépassement de soi.
Il faut bien savoir que le peintre ne peignait pas en état de crise, il n'y a aucune trace de folie dans sa peinture.
Mon avis sur l'exposition
Si je devais vous donner mon avis sur cette exposition.
J’ai eu la chance de visiter cette exposition grâce à la carte Blanche, que tout le monde peut se procurer d'ailleurs, qui permet d’accéder au musée à 9h le vendredi, avant l’ouverture officielle du musée à 9H30.
Car sans cela, il vous faudra faire preuve d’un certain héroïsme, capable d’endurer les files d’attente pour espérer finalement entrevoir des tableaux, à travers d’une foule dense de photographes amateurs.
Les témoignages sont à ce sujet consternants.
Mais sincèrement cela en vaut la peine, car il s’agit là d’un ensemble tout à fait exceptionnel
L'exposition révèle que les derniers mois de Van Gogh n'ont pas été une période de dépression pendant laquelle il n'a rien fait. C'était une période fébrile au cours de laquelle il produisait un tableau par jour. Il s'agit de tableaux très différents : portraits, paysages, vues de villages, vues de champs, avec d'incroyables éclats de couleur, même s'ils sont peut-être moins colorés que ses tableaux du sud de la France - Saint-Rémy-de-Provence ou Arles.
Sur le chemin de la guérison, Van Gogh peint pourtant tous les jours en se jetant à corps perdu dans la réalisation de 74 tableaux et de 33 dessins parmi les plus célèbres de son répertoire. De son inquiétant Champ de blé aux corbeaux à son ultime création, Racines, le musée d’Orsay est parvenu à réunir une quarantaine de toiles iconiques, une série unique de tableaux au format panoramique, ainsi que quelques pièces rapportées par le peintre de l’asile de Saint-Rémy-de-Provence. Un corpus marqué par ses démons et sa palette tourmentée pour résumer les deux derniers mois d’un artiste maudit, finalement rattrapé par sa folie.
Réjouissons-nous de voir des espaces plus spacieux qu’à l’ordinaire permettant ainsi à chaque tableau de laisser échapper les expressions fortes dégagées.
Un petit bémol me concernant : d’un point de vue personnel, j’aurais préféré découvrir les deux tableaux figurant l’autoportrait de l’artiste et un portrait de docteur Gachet en fin d’exposition, clôturant l’exposition sur ce lien si fort qui existait entre les deux hommes.
Faites-en l’expérience et revenez sur vos pas et vous profiterez d’autant plus de ces deux magnifiques tableaux
Donc allez voir cette exposition même si vous devez braver la foule!
Le musée d'Orsay aura 40 ans en 2026 et sait qu’il doit évoluer et qu’il est grand temps d’offrir à ses 3,3 millions de visiteurs annuels une expérience plus fluide.
Les installations de recherche et d'enseignement seront déménagés dans un bâtiment voisin pour rénover le bâtiment principal.
L'esplanade sera réaménagée, les visiteurs n'auront plus à faire la queue pour obtenir des billets à l'extérieur, et les collections permanentes seront réorganisées et réaffichées. Le musée restera ouvert pendant la durée des travaux, qui devraient débuter en 2025 et s'achever fin 2027.
On attend cela avec grande ivresse !
A bientôt sur Expertisez pour de nouvelles visites de musées et d’exposition.
Elodie Couturier