Alfred Manessier, un peintre libre

Alfred Manessier, un peintre libre : témoignage de sa fille Christine Manessier

Je vous emmène aujourd’hui dans l’univers d’Alfred Manessier au travers de ce tableau "Les Flandres", peint en 1950.

Avant de revenir plus en détail sur ce tableau, symbole d’une véritable relation forte entre un artiste et son collectionneur, rappelons brièvement qui était Albert Manessier.

Albert Manessier naît en 1911. Il a été l'un des représentants les plus influents de l'abstraction lyrique en France.

Son œuvre a marqué la scène artistique française et, a également eu un impact international significatif.

Manessier a commencé sa carrière artistique dans les années 1930, et s'est rapidement démarqué par son style distinctif. Il a été influencé par le cubisme, le fauvisme et le surréalisme, mais il a évolué vers une abstraction plus libre et expressive au fil du temps.

Son travail se caractérise par l'utilisation audacieuse de la couleur, de formes organiques et de gestes spontanés, comme vous pouvez le voir ici. Ses compositions abstraites sont souvent inspirées par la nature, les paysages et les éléments naturels, exprimant une profonde connexion émotionnelle avec son sujet.

Dans les années 1940 et 1950, Manessier devient un membre actif du mouvement de l'abstraction lyrique, aux côtés d'autres artistes notables tels que Georges Mathieu et Pierre Soulages.

Ce mouvement, rappellons-le, mettait l'accent sur la liberté d'expression artistique, la spontanéité et l'émotion, rejetant les contraintes des formes figuratives au profit d'une expression plus libre et subjective. Manessier était également connu pour son engagement spirituel profond, qui se reflétait dans son art.

Sa pratique artistique était imprégnée de symbolisme et de sensibilité religieuse, bien que ses œuvres restent tout à fait ouvertes à une interprétation multiple. Son aura mondiale s'est développée grâce à sa participation à des expositions internationales majeures et à sa reconnaissance par la critique.

Ses œuvres ont été exposées dans des galeries et des musées prestigieux à travers le monde, contribuant ainsi à diffuser son influence au-delà des frontières françaises. Manessier a également été un artiste engagé socialement, utilisant parfois son art pour transmettre des messages humanitaires et pacifistes.

Son implication dans des projets artistiques socialement engagés lui a valu une reconnaissance supplémentaire en tant qu'artiste conscient et réfléchi.

Il disparaît brutalement en 1993 dans un accident de voiture. Manessier a peint autour de 2000 œuvres Il ne s’agit là que d’une présentation succincte, et d’autres éléments sont à prendre en compte que l’histoire de l’art stricto sensu ne révèle pas forcément

Alfred Manessier : témoignage de sa fille Christine

J’ai eu la chance de rencontrer Madame Christine Manessier, il y a quelques jours, fille de l’artiste, qui a travaillé auprès de son père durant huit jusqu’à sa disparition.

Christine Manessier est venue à l’étude pour confirmer l’authenticité du tableau « Les Flandres » que nous présentons dans le cadre de notre vente aux enchères du 19 décembre prochain.

Quel bonheur de rencontrer les enfants ou ayants-droits des artistes qui parlent avec tant de passion et de tendresse de leurs parents. Christine Manessier m’a livrée des éléments passionnants qui font vivre le peintre, encore plus au travers de tableaux, et cela lui tient à cœur.

Manessier a commencé à peindre dans les années 30, comme je le soulignais mais l’arrivée de la guerre a chamboulé sa vie, comme l’a été celle de tous ceux qui ont pu connaître cette période troublée.

Manessier était alors garçon de ferme chez le couple Bissière dans le Lot : Roger Bissière, artiste, allait démarrer une exploitation agricole, mettant alors de côté la peinture.

De nombreux artistes se sont réfugiés pendant la guerre dans le Lot. Une exposition est d’ailleurs en préparation au musée de Cahors, au sujet de ce groupe de peintres, l'année prochaine.

Manessier et sa femme ont été séparés au moment de la déclaration de guerre. Il allait joindre son régiment, tandis que sa femme attendait leur premier enfant, le frère de Christine : l'épouse de Manessier part en exode et accouche à Cahors, rejoint par Manessier deux jours avant la naissance de leur premier enfant – Christine Manessier, elle se nomme « la fille de la Libération ».

Le couple Manessier n’a pas un sou et aide pour les vaches, les moutons et plante de la lavande. Ils loué également une maison à Benauge acquis ensuite par la galerie Jaeger (galerie Jeanne Bucher) Tout cela sera raconté au musée de Cahors l’année prochaine dans l’exposition.

Mais revenons à Manessier : Par une carte interzone de Bazaine, Manessier apprend alors qu’il y a du travail à Paris : Manessier avant une folle envie de peindre - il reprend donc la peinture en 1942. Christine Manessier me livre un évènement marquant pour son père.

En 1962, en même temps qu’Alberto Giacometti , Manessier obtient le premier prix de la Biennale de Venise et pourtant il a ressenti à ce moment-là, je la cite , « comme une chape de plomb qui allait s’abattre sur leur génération » .

Malgré ce prix dont il était fier, il représentait la France, il a été sifflé par la délégation américaine. Il n’a pas compris mais a ressenti, à ce moment, que leur génération serait celle des sacrifiés.

Après cela il a été comme, je la cite « un peintre à abattre » pour ses rivaux et les peintres américains Ses amis proches étaient alors Jean Bazaine, Jean Le Moal (le parrain de Christine Manessier), Elvire Jean (sa marraine), Etienne Martin ou Zao Wou ki. Manessier était très ami avec Zao Wou Ki. Ils s’étaient connus à la galerie de France, dont Manessier a été l’un des fondateurs comme Pignon ou Gustave Singier.

En fait, il semblerait que toute cette génération de peintres a été sacrifiée, mais cela peut changer. Jean Bazaine qui avait organisé l’exposition en 1942 « 20 jeunes peintres de tradition française » a été accusé d’avoir exposé durant la guerre, alors que notons bien qu’il s’agissait d’art dégénéré – je vous en avais beaucoup parlé dans le cadre de ma vidéo sur Oskar Kokoschka qui en parle beaucoup dans ses écrits – et pour cela Jean Bazaine et les artistes exposés risquaient par la même de partir dans les camps de concentration.

L’histoire de l’art n’est pas écrite de manière toujours juste, selon Christine Manessier.

Jean Le Moal disparaîtra après Manessier et restera très affecté par la mort du « Gamin », Manessier étant bien plus jeune que Le Moal.

Alfred Manessier : rencontre avec un collectionneur Philippe Leclercq

Revenons sur le tableau que nous présentons dans le cadre de notre vente aux enchères Musique « Les Flandres » datés de 1950.

La provenance de ce tableau est, comme indiqué, le collectionneur Philippe Leclercq : il a été le plus gros collectionneur de Manessier dès 1946 à la galerie Drouin place Vendôme.

Pour la petite histoire, Georges Rouault dont Philippe Leclerc collectionnait de nombreux tableaux de Rouault, Georges Rouault a conseillé donc Leclercq pour acquérir des tableaux de Manessier.

Georges Rouault s’est déplacé à l’atelier de Manessier et n’a presque rien dit - excepté « vous êtes fait pour le vitrail ». Cela a beaucoup surpris Manessier et pourtant Georges Rouault ne se trompait pas, car Manessier fera naître des vitraux dans la Chapelle Hem quelques années plus tard. Manessier a ses deux premières expositions personnelles en 1949 Philippe Leclerc achète alors quasiment tous les tableaux.

Philippe Leclerc et Alfred Manessier ont fait ensemble un voyage dans les Flandres, évoqué dans « Manessier lumières du Nord » : le tableau est d’ailleurs reproduit en double page dans cet ouvrage.

Pour revenir à l’histoire des vitraux : La Chapelle Hem – pour être exacte la chapelle Sainte-Thérèse de l’Enfant-Jésus et de la Sainte Fac, inaugurée en 1958, et classée au titre des Monuments Historiques, est née de la volonté de Philippe Leclercq et constitue un exemple rare d’œuvre d’art total dans un espace qui reste intime.

A l’ombre de la cathédrale dynamitée à la fin de la guerre 40, les vitraux furent tout d’abord commandé à Jean Bazaine, déjà âgé, qui a réparti le travail entre ses amis dont le Moel et Manessier. Cette chapelle n’est pas très connue, bien qu’il y ait eut une exposition à son sujet à la Piscine, merveilleux musée, pendant cette sombre période du Covid, donc pas beaucoup de lisibilité.

Christine Manessier évoque les relations riches entre le collectionneur et le peintre Manessier Musique Lorsqu’à l’époque elle envisage de travailler auprès de son père, elle va voir « sa grande ainée », la fille de Rouault, Isabelle qui lui dit « de toutes façons cela vous tombera dessus, donc je vous conseille de travailler avec votre père dès que possible. »

C’est ce qu’elle fera durant 8 ans jusqu’à l’accident fatal Elle a 48 ans à la mort de son père, et a été son assistante durant sept ans : avant travaillé aux musées des arts décoratifs entre autres et cela lui a permis d’exercer son « métier de fille de peintre ».

Elle quitte le musée des arts déco car bcp de travail autour d’un artiste : la galerie de France s’occupait de la documentation mais Manessier ne s’occupait pas des photos, des archives, notons que la guerre est passée par là

Des déceptions : l’institut Manessier qui devait voir le jour n’aboutira pas.

Des reproches : le catalogue raisonné ne sort pas assez vite. Mais il faut comprendre le travail titanesque que représente la rédaction d’un catalogue raisonné. Christine Manessier aime parler de l’avenir

La transmission

Un grand projet en cours : l’agrandissement du musée existant à Abbeville, ville meurtrie en 1940, en Picardie maritime qui pourrait se positionner comme un phare culturel pour cette région.

Un architecte est choisi, les réunions ont commencé avec des relais de jeunes historiens d’art. Les choses avancent, et elle espère que les planètes soient alignées pour voir ce musée naître, selon la volonté de Manessier, qui souhaitait transmettre à sa ville ses tableaux.

Une superbe exposition en ce moment à Saint-Dié les Vosges sur Manessier qui ne présente que des grands formats jusqu’au 7 janvier sur le thème de la Passion et des Alléluias pour ne pas enfermer Manessier dans le tragique.

Christine Manessier a encore beaucoup de choses à dire sur son père et elle a le projet d’écrire un livre qui s’appellerait « Mon père, ce peintre à abattre » : le souvenir de Manessier à son retour de Venise l’a définitivement marqué.

Elle se laisse emporter par l’émotion – mais l’émotion c’est la vie.

Ce sont des histoires de vie , dit-elle « des histoires de vies de peintres »

A bientôt sur Expertisez

Elodie Couturier

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